CHAPITRE 1
Mission
Les prunelles assombries du Guerrier observèrent le ciel illuminé d’étoiles. L’espace d’un instant, un voile de tristesse s’abattit sur ses traits.
Bon sang, qu’il détestait cet endroit !
Sans répit, la chaleur l’enveloppait de ses doigts moites, lui donnant la sensation de peser des tonnes. Il préférait de loin les missions en zone froide, mais cette fois, Youri, le Grand Maître du Sanctuaire d’Yparys, ne lui avait pas laissé le choix quant à la destination : la Guyane et la forêt amazonienne.
Guillaume était l’un des meilleurs combattants de la Guilde des Gardiens, et souvent il parvenait à convaincre son supérieur de l’envoyer dans les contrées du Nord, là où ses compagnons n’aimaient pas partir. Il préférait lutter contre les bourrasques glaciales ou la neige plutôt que de supporter les températures élevées ou l’humidité des pays équatoriaux.
La lune atteignait son apogée, et tandis qu’il s’emplissait de son énergie bienfaitrice, ses paupières se fermèrent. Comme toujours, l’image qui se dessina dans son esprit torturé prit forme ; des yeux vairons, de longs cheveux noirs, un visage pâle et une moue volontaire mêlée à une petite pointe d’arrogance.
Élianor Weyndell, la Gardienne de l’Eau.
Il savait que penser à elle n’était pas raisonnable, qu’aucun avenir à deux ne les attendait. Cependant se remémorer les traits de la jeune fille lui donnait du courage et lui rappelait pourquoi il se tenait ici, au cœur de cet enfer foisonnant, au beau milieu de nulle part, à traquer les femmes de la Guilde Sombre : la vengeance.
Il réprima les émotions qui menaçaient de le submerger. Cela appartenait au passé, un passé terrible qui le marquerait à vie. Plus rien ne serait comme avant ; jamais plus il ne sentirait le bonheur envahir ses tripes au son de sa voix et de son rire. Plus jamais il ne s’agacerait d’une de ses remarques piquantes, plus jamais… il ne vibrerait en respirant son parfum.
Sa poitrine se serra de chagrin. Bien que la Guilde se refuse de l’accepter, Guillaume était convaincu qu’ils l’avaient perdue, que la situation était sans espoir. Et cela, il ne se le pardonnerait jamais.
Tout était sa faute.
Après tout, il avait fourni l’arme qui avait participé au drame. Celle qui avait brisé la fille qui déclenchait en lui des émotions inédites, la puissante Gardienne de l’Eau. Cependant il n’était pas le seul coupable ; à présent son unique objectif se résumait à faire payer qui de droit. Un grognement dans son dos le ramena à la triste réalité. Il rouvrit les yeux pour fixer de nouveau l’astre, tentant de museler son instinct de chasseur. Son instinct de tueur. Pendant un bref instant, un éclair doré illumina ses iris sombres.
S’il avait pu achever cette ennemie près de lui sur-le-champ, il l’aurait fait sans hésiter.
— Je serais toi, je me ferais toute petite, gronda-t-il.
La pièce dans laquelle il se tenait était plongée dans une semi-obscurité, seulement éclairée des lueurs du ciel nocturne. Peu lui importait, il n’avait pas besoin de lumière, il voyait dans le noir. En revanche, son otage, elle, ne possédait pas cette faculté et semblait en proie à une panique qu’elle tentait de camoufler en lui lançant des regards assassins. Il sourit d’un air satisfait. Elle pouvait bien essayer de lui cacher sa peur, c’était inutile. Même dos à elle, il entendait ses battements de cœur affolés, il devinait les relents aigres de sa sueur et percevait les ondes de stress qu’elle dégageait. Soudain, il pivota puis fondit sur la femme en cuir noir ligotée sur une vieille chaise.
D’un geste rapide, il empoigna deux poignards pendus à sa ceinture et les lui planta l’un après l’autre dans les mains. Les lames traversèrent la peau et les os, en brisant un ou deux au passage, puis s’enfoncèrent dans le bois des accoudoirs. Le cri qu’elle émit fut étouffé par le bâillon noué autour de sa tête. Deux larmes roulèrent sur ses joues crasseuses, toutefois son regard haineux, lui, ne lâchait pas le Guerrier.
— Je ne suis pas un grand bavard, donc je vais aller droit au but, articula-t-il d’un ton menaçant. Je vais te tuer, mais tu as le choix entre la manière rapide et la manière longue. Je t’avoue que j’ai une préférence pour la seconde option. Alors maintenant, je vais te poser deux questions. Et tu vas y répondre.
Sans délicatesse, il retira le morceau de tissu. Les lèvres craquelées de la femme se déformèrent en un rictus de douleur.
— Inutile de chercher à croquer ta capsule de poison. Je t’ai arraché la dent qui la contenait. Parle maintenant.
— J’ai… j’ai soif…, souffla-t-elle.
Il s’accroupit puis souleva son menton afin qu’elle le regarde. La frayeur, mêlée à la souffrance et à la haine, débordait à présent de ses yeux bleus à moitié fermés par des hématomes. Il glissa son pouce presque tendrement sur le visage tuméfié de la prisonnière. Avec une grimace de dégoût, elle lui cracha dessus et se mit à hurler. Le coup de poing que lui envoya Guillaume la fit taire et lui brisa le nez dans un sordide craquement. Il se releva, saisit ses couteaux, puis les retira pour les planter à nouveau avec brutalité, abîmant d’autres os et tendons. Cette cinglée jouait avec ses nerfs en lui manquant de respect. Il s’écarta d’elle et respira profondément.
Ne pas la tuer… ne pas la tuer…
Cela faisait maintenant plusieurs jours que sa faction la détenait dans cette sordide cabane dans la jungle. Elle était leur seul espoir d’en apprendre davantage à propos des plans de leurs ennemis jurés : la Guilde Sombre. Et surtout à propos des raisons pour lesquelles ces folles s’étaient acharnées sur Élianor. Les autres combattantes s’étaient soit enfuies, soit donné la mort avec une capsule de poison dissimulée dans leurs molaires.
Guillaume allait devoir passer aux choses sérieuses.
Sa patience avait des limites. Si elle ne parlait pas rapidement, il finirait par la tuer de ses poings. Et ce n’était pas la solution.
Des coups frappés à la porte retentirent et le détournèrent de sa proie. Le battant s’ouvrit sur un des combattants qui l’accompagnaient dans cette mission. Mélanie, l’unique amie qu’il avait parmi les rangs des Guerriers, avança de sa démarche souple et silencieuse, puis pressa son épaule.
— Je reprends, tu dois te reposer, le somma-t-elle.
— Hors de question !
— Guillaume, t’es épuisé et la colère te fait perdre les pédales. Tu sais qu’à l’approche de la pleine lune ça ne va pas s’améliorer. On ne doit pas faire d’erreurs avec celle-ci. Il faut la garder en vie.
— Je suis capable de gérer, trancha-t-il.
Mélanie le dévisagea intensément, puis continua à voix basse :
— Attention, beaucoup de monde pense que t’en fais une affaire personnelle. Tu sais qu’on ne doit pas s’impliquer autant, qu’on ne doit…
— Bien sûr que je le sais, la coupa-t-il. C’est moi le responsable ici, ne me materne pas ainsi.
— J’agis juste en amie, je te connais et je ne t’ai jamais vu dans cet état. Alors, s’il te plaît, essaye de dormir un peu. Je te relève.
Les paroles de la jeune femme le troublaient et l’énervaient en même temps. Il savait déjà qu’il n’avait pas l’attitude neutre qui convenait à son statut, mais l’entendre dire était difficile.
Après un long un soupir, il demanda :
— Pas d’autres pistes ?
— Non, toujours pas, nous avons juste eu des nouvelles des Centaures des Rocheuses qui confirment que les Sombres tentent également de les rallier à leur cause. Nous allons devoir nous rendre là-bas, je pense. J’ai averti Youri.
— Le clan des Rocheuses, carrément ! Elles ne manquent pas de culot, on peut au moins leur reconnaître ça. Et ceux d’Amazonie n’ont pas donné d’informations supplémentaires ?
Elle secoua la tête avec une moue navrée.
— Non. Ces femmes sont extrêmement malignes, et il y a des personnes puissantes qui les guident, j’en suis certaine.
Guillaume passa ses mains dans ses cheveux mi-longs avant d’effectuer des allers-retours d’un pas rageur.
— Comment ont-elles pu tuer autant de Centaures et s’enfuir sans laisser de traces ? Ça me rend dingue !
Ses nerfs se tendirent, son sang bouillonna et, poussant un grondement animal, il se jeta sur la prisonnière.
— Parle, crevure ! hurla-t-il alors en attrapant son cou entre ses doigts.
Alors que cette dernière se débattait faiblement, les iris du Guerrier se couvrirent une nouvelle fois d’or et une lueur sauvage les traversa. Il ne souhaitait qu’une chose : la briser, lui faire mal jusqu’à ce qu’elle le supplie et rampe à ses pieds.
— Guillaume, intervint Mélanie d’une voix douce. Je vais m’en occuper. Si tu la tues, elles gagnent. Semer le trouble parmi la Guilde est un de leurs objectifs, j’en suis sûre. On ne doit pas les laisser nous manipuler.
Il relâcha l’étau de sa poigne tandis que l’otage luttait pour retrouver son souffle. Sa mâchoire se contracta, ses dents grincèrent de fureur. Il devait se reprendre, se contenir et, surtout, se reposer.
— La Gardienne de l’Eau doit mourir, et tu ne pourras rien faire contre ça ! haleta soudain la femme avec un regard haineux. Vous, la Guilde des Gardiens, n’êtes que des minables pions avec lesquels nous nous amusons. Hélas pour vous, la partie est déjà perdue depuis longtemps. Vous n’avez pas encore compris que vous avez dix coups de retard ?
Elle émit un ricanement dédaigneux puis clama :
— Vive Héra ! Elle seule détenait, la vérité, nous lui serons fidèles, et nous battrons jusqu’à ce que tous ces immondes humains crèvent ! Et vous… sales toutous des Gardiens… clébards ridicules… vous êtes la honte du Monde Réel !
Sans que Mélanie ne puisse réagir, Guillaume attrapa une des armes plantées dans les mains de la prisonnière et lui trancha la gorge. Alors qu’elle agonisait, Guillaume essuya son propre visage englué de sang. Le regard choqué de Mélanie ne l’atteignait pas. Les propos de l’otage lui avaient fait comprendre qu’ils ne tireraient rien d’elle. Ces folles avaient le cerveau lavé et étaient prêtes à périr pour leur cause. Surtout, elle avait utilisé les mots de trop en s’en prenant à Élianor. Peu à peu, il sentit les battements de son cœur diminuer puis cesser. Dans un ultime râle, la femme rendit son dernier souffle. Personne n’effectua un mouvement durant sa lente mort, et maintenant, il allait devoir assumer son acte. Peu lui importait qu’ils le blâment, il ne regrettait rien.
D’une voix ferme, il déclara :
— Bien, à présent notre mission ici est achevée. Il est temps d’aller rencontrer le clan des Rocheuses.
CHAPITRE 2
Incroyable voyage
Élianor se sentait bien, jamais elle n’avait été aussi détendue. Une chaleur douce et revigorante la traversait ; plus de souffrances, plus de stress, tout était à sa place, tellement simple.
Au loin, une lueur apparut.
Sans hésiter, elle se dirigea vers elle, légère, sans aucune pression sur le corps. Les parois de l’étrange tunnel, illuminées d’un dégradé orangé, lui donnaient l’impression de tournoyer. Plus elle avançait, plus la lumière devenait intense. Pourtant ses yeux ne cillaient pas, elle ne ressentait aucune gêne, comme si les fragilités humaines l’avaient quittée.
Ses longs cheveux noirs flottaient autour d’elle, libres de leur mouvement, sa peau émettait un halo bleuté. Elle ignorait où elle se trouvait, mais se sentait en parfaite sécurité ; aucune peur n’étreignait son ventre.
Ses souvenirs étaient flous, sa vie terrienne lui paraissait tellement lointaine, futile. À présent, elle se tenait tout près et ne pensait qu’à une chose : rejoindre ce superbe endroit, le traverser, découvrir la Vérité.
Les rayons de l’étrange lumière s’étendirent, elle put presque toucher son halo moelleux. Sourire aux lèvres, la jeune fille continua sa route puis, du bout des doigts, effleura enfin l’énergie face à elle, douce, chaude. Un flux électrique l’attira soudain au centre et elle perdit alors la notion de temps, d’orientation et se laissa emporter dans un tourbillon coloré vertigineux.
Autour d’elle, un magnifique paysage se dessina, teinté de violet irréel. Le soleil couchant se reflétait sur une mer d’huile alors que le va-et-vient des vagues émettait un clapotis discret. Ses pieds nus s’enfoncèrent dans un sable blanc et fin ; cet endroit s’avérait superbe, cela ressemblait à ses plus beaux rêves.
Sur sa droite, Élianor discerna une silhouette trouble qui s’approchait. L’image se précisa, des boucles châtains coupées au carré apparurent, encadrant un visage souriant. Une femme de petite taille, rondelette, marchait les mains tendues vers elle. Le cœur de l’adolescente pétilla de bonheur. C’était Estelle, l’ancienne employée de maison qui avait remplacé sa mère après la disparition de cette dernière. Avec son époux, Henri, et le père d’Élianor, Hector, ils lui avaient caché bien des choses. De son vivant, la jeune fille avait éprouvé une colère noire à leur égard. Estelle avait succombé aux affreuses tortures perpétrées par les membres de la Guilde Sombre, leurs sanguinaires ennemies, mais semblait apaisée désormais.
Élianor fut si heureuse qu’elle en oublia sa rancœur, se précipita vers elle et la serra dans ses bras. C’était la première fois qu’elle l’étreignait ainsi, n’étant pas une habituée des démonstrations d’affection. Cette année passée l’avait beaucoup changée, elle avait compris l’importance de montrer son amour à ses proches.
— Estelle, c’est incroyable ! Je… je suis si contente de te voir, balbutia-t-elle les larmes aux yeux. C’est quoi cet endroit ?
La femme lui offrit un doux sourire.
— Un lieu de transition propre à toi. Il n’existe que dans ton imagination.
— Cela veut dire que je suis morte ?
— Cela veut dire que des décisions doivent être prises, Élianor.
La jeune fille, le souffle coupé, peinait à croire à la réalité de ce moment.
— Je peux retourner sur terre ? Ou… mourir ?
Estelle, énigmatique, acquiesça.
— Nous traversons tous cette étape ? demanda Élianor, le pouls affolé.
— Non… Ce coup de couteau que t’a infligé Aleksi aurait dû mettre un terme à ta vie physique. De plus, cette année a été véritablement éprouvante pour ton corps et ton esprit. Mais tu as encore un long parcours à accomplir chez les incarnés, expliqua la femme d’une voix grave. Comme quelques rares personnes, tu connais une expérience de mort imminente.
Élianor, sous le choc de ces révélations, avait du mal à réaliser.
— De mort imminente…, répéta-t-elle. Donc, j’ai pas le choix ?
— Nous avons tous un libre arbitre, c’est une des lois essentielles de l’univers.
— Je me sens bien ici, je ne crois pas que j’ai envie de partir.
Estelle passe une main tendre sur sa joue.
— Je le sais et le comprends, et le temps viendra où tu vivras en paix. Je suis là pour une raison précise. Tes Guides souhaitent te rencontrer.
— Mes Guides ? s’exclama-t-elle, stupéfaite.
— Les Anciens.
Élianor se tourna vers l’horizon pour digérer ces informations. Comme toujours, son élément l’appelait. Elle fut tentée de se jeter dans les flots bleus pour ne plus en sortir.
Quelques mois plus tôt, elle avait découvert qu’elle était reliée à l’Eau par sa filiation ; un pouvoir qui lui offrait des capacités incroyables. Réprimant son instinct, elle se détourna et coupa court à son envie. Même si c’était difficile, elle devait affronter son destin.
Sans un mot, Estelle lui prit la main avec une tendresse maternelle.
— Ferme les yeux.
Alors qu’elle s’exécutait, tout se mit à vibrer et à tanguer. Au bout de quelques secondes, l’adolescente souleva ses paupières et sursauta. Elle ne se tenait plus sur la plage, mais dans une salle, face à quatre trônes monstrueux en pierre noire. L’endroit circulaire était entouré d’arches qui donnaient sur un paysage lunaire où aucune végétation ne poussait. Le vent s’infiltrait à son gré, agitant les cheveux de la jeune fille. Les rayons d’un étrange soleil rendaient le lieu austère et amplifiant la sensation de stérilité.
Ramenant son regard dans la pièce, Élianor vit que des silhouettes avaient apparu sur les immenses sièges. Habillées de longues toges beiges, elles ressemblaient aux représentations des dieux de la mythologie grecque, trois hommes et une femme, plus grands qu’un être normal.
Fascinée, elle n’arriva pas à détacher ses yeux des placides géants et les détailla un par un en silence. En dehors de leur stature, ils avaient tout d’un être humain. Leur âge, difficilement déterminable, paraissait avancé. Leurs pupilles emplies d’intelligence brillaient d’un éclat vif. Des ceintures à leurs tailles étaient gravées à l’effigie d’un des quatre Éléments. Élianor se remémora la formation qu’elle avait suivie au Sanctuaire d’Yparys l’année passée et comprit qu’elle avait affaire aux aïeuls des Gardiens.
Les Anciens.
Une vague de sentiments puissants l’envahit, mélange de crainte et d’excitation. Elle identifia Poséidon, son ascendant grâce à son regard vairon, signe distinctif de sa famille, et au symbole de l’Eau qu’il arborait sur sa tunique. Seul à ne pas porter de barbe, il la dévisageait avec bienveillance, un léger sourire aux lèvres.
Après l’avoir observée un long moment, il finit par se lever pour venir à sa rencontre. Elle se sentit petite face à ce colosse fier et altier. L’émotion lui étreignit la gorge lorsqu’elle saisit l’importance de l’homme devant elle. De l’homme… ou plutôt de celui considéré comme un dieu par ses semblables. Sa famille. Élianor réalisa de nouveau l’incroyable destin qu’était le sien. Par chance, les inconvénients de son corps organique ne semblaient pas avoir cours ici. En temps normal, elle aurait déjà rougi jusqu’aux oreilles et son cœur galoperait plus vite qu’un cheval emballé.
D’une voix grave, il prit la parole :
— Mon enfant, je suis si fier de ce que tu es devenue. Je suis Ibérion d’Askarys, également nommé Poséidon. Mon sang coule dans tes veines. Tu l’honores merveilleusement, comme ta mère. Voici mes frères Hadès, Zeus et ma sœur Hestia, ajouta-t-il en désignant tour à tour ses compagnons assis. Nous veillons sur vous, les Gardiens. À travers vos rêves et vos intuitions, nous vous guidons sur le bon chemin.
— Je suis très heureuse de vous rencontrer, mais est-ce que ça signifie que vous êtes morts ou vivants ? questionna la jeune fille impressionnée.
— Je te reconnais bien là, Élianor ! Tu as toujours été très curieuse. Les réponses viendront en temps voulu.
Gênée par sa propre audace, elle baisse la tête.
— Excusez-moi.
— Nous sommes ici pour une chose : ton avenir. Tu dois choisir entre retourner dans ta vie d’incarnée, poursuivre ta mission ou y mettre un terme et commencer une nouvelle route. Cette dernière option implique qu’il n’y aura plus de Gardien de l’Eau. Cela représente un véritable danger au vu des événements, néanmoins toi seule décideras.
— Est-ce que tout cela se passe dans mon imagination ? demanda-t-elle d’un ton hésitant.
Son ancêtre sourit avec malice.
— Qu’en penses-tu ?
Elle prit un court instant de réflexion. Les trois Anciens, encore assis, observaient avec attention la discussion. Zeus possédait les yeux bleus, l’arrogance et le menton volontaire de Damian, le Gardien de l’Air. La cascade de cheveux aux reflets roux d’Hestia indiquait sa filiation avec Serena, la Gardienne du Feu. Enfin, elle revit Elliot, le Gardien de la Terre, dans les traits minces et le regard marron d’Hadès. Il ne lui manquait que les lunettes.
Troublée, la jeune fille se rendit compte qu’un grand vide l’envahissait à l’évocation de ses trois compagnons. Malgré des débuts difficiles, leurs péripéties de l’année passée avaient fini par les rapprocher. Affronter leurs ennemies, ces monstres de la Guilde Sombre, avait été extrêmement éprouvant, et sans eux, elle n’aurait jamais pu sauver son père Hector, Henri et Aleksi des griffes de ces dangereuses femmes. Soudain, au souvenir de ces aventures, une nouvelle assurance s’insinua en elle, et aussi… une envie pressante de poser des questions.
Elle redressa le front et dit d’une voix plus ferme :
— Je pense que vous n’êtes pas dans ma tête.
— Tu penses bien, confirma Poséidon. Tu dois prendre conscience de l’importance de tout cela, car il n’y aura pas de retour en arrière possible. Ton corps est affaibli. Tu subiras maintes épreuves si tu repars, mais ton esprit est intact et ton aide sera la bienvenue lors des temps difficiles à venir. Tes amis comptent sur toi.
— Trêve de bavardage, mon frère ! le coupa Zeus en le rejoignant. Tu dois maintenant nous faire part de ta décision. Nous n’allons pas rester ainsi à épiloguer. Vois-tu… je ne suis pas d’un naturel patient.
Élianor fixa droit dans les yeux l’ancêtre de Damian.
— Un mort peut être impatient ?
— Cela suffit, gronda Zeus. Je ne tolérerai pas que tu te moques de moi, jeune fille !
Poséidon s’interposa, connaissant très bien le caractère impétueux de ce dernier.
— Zeus, tu devrais t’asseoir. Laisse-moi gérer cela.
— Je suis désolée, mais vous me demandez quelque chose qui changera le cours de ma vie. C’est pas facile ! se justifia Élianor.
— Je le conçois tout à fait, la rassura son ancêtre. Cette année écoulée a été compliquée pour toi, mais pense aux côtés positifs. Tu as découvert le Monde Réel, du moins, une partie. De grandes capacités sont apparues. Tu as rencontré des personnes formidables…
— J’y retourne.
Poséidon sembla surpris et la détailla en silence tandis qu’elle expliquait les raisons de son choix soudain.
— Je n’ai pas terminé ce que j’avais à faire. J’avais un peu oublié les gens que j’aime. Dans ma tête, c’est très confus… Finalement, je n’ai pas besoin de réfléchir plus, je dois être près d’eux, reprendre le Sceau de l’Eau à la Guilde Sombre et assumer mon rôle. Mais avant tout, j’ai une question. Vous saviez ce que j’allais décider, n’est-ce pas ? Vous connaissez l’avenir ?
L’Ancien se mit à rire puis pointa son index en direction de sa poitrine. Une décharge électrique la foudroya. Paralysée, elle n’eut pas le temps de réagir, les mains d’Estelle se posèrent sur ses épaules et la tirèrent en arrière.
Puis ce fut la chute.
Vertigineuse.
Élianor hurla en tombant dans un vide sans fin et revit ces derniers moments en marche arrière : la plage orangée, la lueur moelleuse, le couloir violet. Puis l’obscurité l’engloutit. Une sensation bizarre l’envahit petit à petit, comme une sorte de pression sur tout le corps. Un second choc électrique la traversa de nouveau, une nausée la saisit alors qu’elle tournoyait à une vitesse hallucinante. La jeune fille percevait maintenant le rythme irrégulier et lent de son cœur. Une odeur de désinfectant lui chatouilla les narines en même temps qu’un bip répétitif résonnait au loin. La souffrance fit son apparition, foudroyante. Une barre douloureuse ceignait le bas de son dos, comme si on lui enfonçait des milliers d’aiguilles.
Elle commençait déjà à regretter sa décision lorsque ses souvenirs oubliés surgirent : son arrivée au Sanctuaire, ses premiers pas compliqués dans la Réalité et sa formation auprès de la Guilde des Gardiens.
Sa vie avait été transformée grâce aux fabuleuses personnes qu’elle avait rencontrées. Elle avait découvert l’Énergie, ses pouvoirs et bien évidemment leurs ennemies sanguinaires, les femmes de la Guilde Sombre. Et puis, ce choc qu’elle avait ressenti en constatant qu’à leur tête, la Grande Prêtresse Salandra n’était autre que Mélissandre, sa sœur jumelle cachée. Élianor en avait voulu à son père, Hector, et lui en voulait encore de lui avoir menti sur tant de choses.
Et comment avait-elle pu oublier sa rencontre avec son Dragon, leur lien si fort, et leur périple incroyable pour sauver ses proches ? Et ce premier vol en compagnie de Guillaume ?
Alors qu’elle se sentait partir de plus en plus loin et que la douleur devenait insupportable, l’image de Guillaume se mêla aux souvenirs restants de sa vie terrestre.
L’évidence s’impose à elle. Nul autre choix n’était envisageable : elle devait revenir et accomplir son destin.
CHAPITRE 3
Prisonnière
Sa chute s’interrompit brusquement. Élianor venait de réintégrer son corps, mais ne voyait rien et ne pouvait pas bouger. Elle réalisa combien être incarnée pouvait être difficile, surtout après son passage dans l’au-delà.
Depuis l’année dernière, la souffrance était devenue sa plus proche compagne. En effet, toutes ces aventures avaient éprouvé son corps, et le coup de couteau qu’elle avait reçu aurait dû l’achever.
Les quelques instants de répit qu’elle avait ressentis auprès des Anciens étaient déjà oubliés et la souffrance s’invitait de nouveau ; aiguë, omniprésente. Insupportable. Réintégrer sa forme organique fut une désagréable expérience, cependant la voix qu’elle entendit lui apporta un profond soulagement. Elle reconnut le timbre de sa meilleure amie. D’autres personnes autour d’elle s’agitaient dans le brouhaha des sonneries.
— Est-ce qu’elle va mourir ? sanglotait Anita.
— Chargez à deux mille volts ! Sortez, mademoiselle !
— S’il vous plaît, sauvez-la ! supplia-t-elle encore.
— C’est prêt.
— Poussez-vous, j’envoie la sauce.
— Élianor, je t’en prie !
Quelqu’un jura avant d’ordonner :
— Que quelqu’un fasse sortir cette fille !
— Stop ! On a quelque chose !
— Élianor ! gémit sa meilleure amie toujours présente.
— Elle est revenue ! Coupez-moi ça, vérifiez ses constantes.
Le parfum d’Anita envahit son nez, ses bras chauds l’enveloppèrent, ses larmes mouillèrent sa peau.
— Merci, merci, merci, murmura-t-elle.
— Ça suffit maintenant, vous devez partir, mademoiselle, somma une voix féminine.
Élianor se trouvait dans un hôpital, l’odeur et le jargon ne pouvaient la tromper. On l’avait réanimée à l’aide d’un défibrillateur, cela expliquait les chocs à la poitrine. Elle était consciente, mais ne voyait rien et ne pouvait pas bouger. La peur la gagna alors qu’elle tentait de remuer ses doigts.
Rien n’y fit.
Prisonnière de son propre corps, elle distingua de nouveau les voix de ces inconnus sans pouvoir soulever ses paupières. Un début de panique s’insinua en elle.
— Cette fois, elle n’est pas passée loin. C’est le troisième arrêt qu’elle fait en peu de temps, on doit prévenir son père.
— J’ai envoyé quelqu’un lui téléphoner.
Une main fraîche se posa sur son front avant de remettre sa frange en place alors que l’angoisse lui tiraillait les entrailles.
— Tu penses qu’elle va s’en sortir ?
— On ne peut jamais dire dans les cas de coma profond. Certaines fois, des miracles se produisent.
— Les constantes sont bonnes. Elle est stable.
— Pourvu que ça dure.
— Si jeune…
— T’imagines que c’est un de ses amis qui l’a plantée sans aucune raison.
— Je ne connais pas les détails, mais il ne l’a pas loupée.
— Il est en détention à ce qu’il paraît. C’est plein de fous sur cette terre !
Le souvenir d’Aleksi la poignardant frappa Élianor de plein fouet, son cœur rata un battement. Pourquoi son ami de toujours avait-il fait ça ? Quel cauchemar ! Où pouvait-il être à présent ? Peut-être emprisonné dans les geôles du Sanctuaire.
La jeune fille entendit les pas s’éloigner et, hormis le ronronnement des machines, il n’y avait plus aucun bruit. Seule, bloquée dans sa chair, elle commençait à désespérer lorsqu’une voix retentit. Elle reconnut son père qui semblait paniqué et entra en trombe dans la chambre.
— Élianor ! s’exclama-t-il avant de lui serrer la main. Tu ne me refais plus jamais ça. Je ne veux pas te perdre.
Pendant un long moment, il lui parla avec tendresse et lui raconta plein de choses, certaines futiles, qui la raccrochaient à la vie ; la météo, les nouvelles du monde, les anecdotes du Sanctuaire, l’histoire de sa famille…
Élianor réalisa alors qu’elle se trouvait dans cet état depuis plus d’un mois. Cette information la choqua. L’attitude de son père à son égard la perturbait également et la mettait mal à l’aise. Lui, si froid, si distant, inexistant depuis des années, presque invisible, était maintenant tendre et inquiet. L’année passée, leurs péripéties et les secrets révélés avaient changé bien des choses.
Le temps passait, elle était très entourée. Les Gardiens et leurs parents, Youri le Grand Maître, les instructeurs, Henri, Baltor… Selon son père, beaucoup se souciaient d’elle et lui rendaient visite. Ils espéraient la retrouver, la voir reprendre sa formation. Leurs mots d’encouragement l’aidaient à tenir le coup.
Elle comprit aussi qu’Aleksi était effectivement emprisonné à Yparys dans l’attente de son réveil. Les responsables pensaient qu’il avait été programmé par Salandra, ce qui expliquait son terrible geste.
Personne n’évoqua Guillaume, le Guerrier pour qui elle éprouvait un amour interdit ; cela l’angoissait. La dernière image qu’elle avait du jeune homme se résumait à son regard blessé lorsqu’il l’avait vue, allongée au côté d’Aleksi dans le coma. Sa jalousie lui avait fait imaginer des choses fausses.
Mais après tout, pourquoi se torturer l’esprit ?
Guillaume n’avait pas le droit de l’aimer. En effet, les Guerriers d’Yparys consacraient leur vie à la Guilde des Gardiens et ne pouvaient pas entretenir de relation. À cette pensée, la tristesse envahit la jeune fille. L’évidence de leur amour était tellement forte qu’elle avait du mal à accepter cette interdiction. Épuisée, tourmentée, elle finissait toujours par s’endormir.
Chaque jour, son père revint. Inlassablement, il lui répéta les mêmes mots avec l’espoir qu’elle puisse l’entendre. La colère qu’elle avait accumulée contre Hector s’émietta et finit par disparaître. C’était à présent avec impatience qu’elle attendait ses visites quotidiennes.
La présence d’Anita l’aida aussi. Cette jeune fille pétillante était sa meilleure amie depuis plusieurs années, et malgré le caractère solitaire d’Élianor, elle avait toujours été là pour la soutenir. Elle avait même chamboulé sa vie en restant auprès d’elle à Yparys, en devenant une initiée.
Et cela, la Gardienne ne l’oublierait jamais.
Anita ne s’éternisait jamais longtemps, se contentant de s’asseoir près d’elle, silencieuse la plupart du temps, certainement inquiète et soumise au rude travail du Sanctuaire. Elle culpabilisait probablement de ne pas pouvoir mieux la soutenir.
Plongée dans l’obscurité, Élianor n’avait plus la notion des jours qui défilaient. Les infirmiers se relayaient sans cesse pour ses soins. Tout ce temps passé immobile, à réfléchir, à écouter les paroles de ses proches l’avait tout de même apaisée. Elle ne luttait plus, essayant seulement de remuer ses doigts de temps en temps. La peur l’avait quittée et elle acceptait mieux la situation, sachant au fond d’elle-même que tout s’arrangerait. C’était une certitude. Ses ancêtres ne l’auraient pas renvoyée uniquement pour jouer les légumes sur un lit d’hôpital.
* * *
— Bonjour, Élianor.
Aujourd’hui, la voix d’Anita sonnait différemment. Lointaine et froide.
— J’étais persuadée que la nature allait faire son œuvre, mais chaque jour tes constantes s’améliorent. Tu as meilleure mine. Tu reprends même du poids.
Ces paroles étranges dans la bouche de son amie lui procurèrent une sensation désagréable. Un frisson glacé parcourut son échine.
— Je commence à m’impatienter. Tout le monde te pensait condamnée, mais t’es une sacrée battante. Je dois te reconnaître ça.
Sans précaution, elle s’assit à côté d’elle en la poussant pour se faire de la place. La douleur dans le bas de son dos s’éveilla et des larmes coulèrent sur ses joues.
— Tu pleures ! Cela signifie donc que tu m’entends. Très bien, ça m’arrange. Salandra m’a demandé d’attendre que tu meures naturellement, mais j’ai maintenant une bonne excuse pour accélérer les choses.
À ces paroles, Élianor eut l’impression qu’on venait de lui enfoncer un pieu dans la poitrine. Anita, sa seule et unique amie, sa confidente depuis tant d’années, celle avec qui elle avait passé des heures à rigoler et à refaire le monde, celle qui avait toujours été là pour lui remonter le moral, cette fille qu’elle aimait avec une confiance absolue, venait de lui faire comprendre qu’elle souhaitait la voir morte. Pire, elle semblait vouloir la tuer de ses propres mains pour le compte de leurs ennemis.
D’une secousse, cette dernière tira le coussin placé sous sa tête.
— Ça sera rapide. Ne t’en fais pas. En tant qu’amie, je me dois de mettre fin à tes souffrances. J’espère qu’après toutes ces années à m’emmerder à tes côtés, je serai grassement récompensée. Salandra, notre Grande Prêtresse, ou plutôt ta chère sœur Mélissandre… ne se rend pas compte à quel point tu peux être désagréable et ennuyeuse. Elle ne souhaite qu’une chose : que tu meures. En tout cas, j’étais impatiente, attendre que tes pouvoirs se déclenchent m’a semblé une éternité. Tu n’imagines pas à quel point je me fais un plaisir de te fermer ton clapet pour toujours.
Sur ces mots terribles, Anita pressa l’oreiller sur son visage, obstruant son nez et sa bouche. Elle sifflotait gaiement en observant les machines dans l’attente de voir s’arrêter les battements de cœur. À la fois terrorisée et révoltée, Élianor étouffait. De l’extérieur, elle semblait inerte, intérieurement, elle hurlait et se débattait comme une forcenée.
Brusquement, une idée lui vint ; son Dragon. Elle s’était liée à lui par l’esprit. En une fraction de seconde, elle le visualisa puis l’appela.
Allait-il réagir et la reconnaître ?
L’adolescente savait que leur lien était censé être indéfectible, mais la peur la fit douter. Le jour de leur rencontre avait été l’un des plus beaux de sa vie. Jamais elle n’avait ressenti une émotion aussi forte que lorsqu’elle avait posé sa main sur lui. Cette créature gigantesque, puissante et magnifique lui avait permis de sauver les siens des griffes de la Guilde Sombre.
Alors que les alarmes s’affolaient et qu’elle suffoquait, au bout de sa capacité pulmonaire, son cœur ralentit, ses battements cardiaques devinrent plus lents. Elle le sentit prendre son envol.
Pourvu qu’il soit là à temps !
Le désespoir l’étreignit tandis que la vie la quittait petit à petit. Soudain, une vitre explosa en mille morceaux. Un rugissement fit trembler les murs puis un souffle brûlant caressa les deux filles. La pression du coussin sur son visage diminua puis disparut, l’air s’engouffra dans ses poumons et Élianor put de nouveau respirer librement. Le soulagement l’envahit. Elle perçut la panique du Dragon, sa colère aussi, et s’empressa de le rassurer mentalement.
L’amour qu’il lui portait était pur et puissant. Quel animal merveilleux !
Anita prit de toute évidence peur, et Élianor l’entendit s’enfuir. La rage la submergea. Elle aurait voulu pouvoir se lever et l’affronter. Cette traîtresse ferait moins la maligne face à elle en pleine possession de ses pouvoirs.
Comment avait-elle pu se faire avoir comme cela pendant des années ? Comment cette lâche avait-elle pu s’attaquer à une personne dans le coma ? Et surtout, pourquoi ne l’avait-elle pas tuée avant ? Pourquoi attendre que ses pouvoirs se déclenchent ?
Alors que la jeune fille luttait sans succès, les infirmiers accoururent et lui posèrent un ballon à oxygène sur le nez. Son pouls reprit un rythme normal, les machines se turent.
Les gens dans la pièce ne voyaient pas l’énorme gueule qui se dessinait derrière la fenêtre, mais les éclats de verre brisé les surprirent. C’était donc avec inquiétude qu’ils s’occupèrent d’elle tout en se questionnant sur ce qui avait bien pu causer ces dégâts. Suite aux ondes rassurantes qu’elle lui transmit, le Dragon finit par reculer puis s’envoler. L’effervescence régnait, le personnel médical s’agitait.
— Que s’est-il passé ?
— J’sais pas ! Les vitres ont explosé sans raison. La patiente a eu une défaillance comme si quelque chose l’avait empêchée de respirer.
— Merde, on doit contacter Youri. Elle ne peut pas rester ici. C’est pas assez sécurisé !
— Elle n’est pas en état d’être transportée. Ils ne sont pas équipés du matériel adéquat pour ses soins.
— Le Sanctuaire a une infirmerie. Nous leur fournirons le nécessaire. C’est trop dangereux ! Ça risque de mal tourner. Je ne veux pas de ça dans mon hôpital. Nous avons d’autres malades sous notre responsabilité. Alors, appelez Youri et évacuez-la le plus rapidement possible.
— Très bien, je m’en charge.
Chapitre 4
Réveil brutal
Élianor était en état de choc.
Elle venait de comprendre qu’Anita était en fait une espionne à la solde de son pire ennemi : la Guilde Sombre. Comment accepter cela alors qu’elles avaient été si proches, qu’elle avait cru la connaître par cœur ? La seule personne pour qui elle avait nourri une totale confiance.
Une larme glissa sur sa joue et elle réalisa soudain qu’elle pouvait soulever ses paupières. A priori, ce bouleversement lui avait permis de retrouver un peu de mobilité. Malgré sa vision troublée, elle discerna une image floue et tremblotante. Les cris de l’aide-soignante appelant le médecin de garde lui semblèrent irréels. Un homme chauve avec des lunettes apparut à son tour. Ses lèvres formèrent des mots qu’elle ne comprit pas, des doigts claquèrent devant son nez, une main chaude se posa sur son front. Sa respiration devint saccadée, une véritable cacophonie régnait dans sa tête. Elle devait prévenir ses proches à propos d’Anita. Affolée, la jeune fille essaya de parler. Malheureusement, rien ne sortit de sa bouche.
— Mademoiselle, il faut vous calmer. Tout va bien, vous êtes à l’hôpital. En sécurité. Est-ce que vous entendez ce que je dis ?
Elle s’efforça de réguler son souffle, tentant de reprendre pied malgré sa panique.
— OK, inspirez profondément et ne bougez pas. Je dois vérifier votre température et votre tension.
Mâchoires crispées, elle inspira puis expira longuement. Il lui fallait retrouver ce contrôle si précieux. Heureusement, le Dragon bleu n’était pas loin, il veillait sur elle avec férocité. L’idée d’avoir une créature aussi puissante comme ange gardien la rassura et l’apaisa. L’adolescente ne pouvait plus concevoir d’affronter cette vie pleine de dangers et d’imprévus sans lui. Paupières closes, elle se remémora alors leur première rencontre.
La bête monstrueuse l’avait d’abord tétanisée : dix mètres de hauteur, vingt d’envergure, des tonnes de muscles vibrants de force, un regard reptilien hypnotique, des griffes prêtes à découper et un souffle brûlant comme l’enfer. Puis très vite, son instinct l’avait guidée vers lui et leur lien s’était créé, telle une évidence !
Elle gonfla ses poumons d’oxygène, laissant ses pensées vagabonder, se souvenant de ses moments de méditation, du bien-être qu’elle ressentait lors de ces séances où le vide calmait son esprit. Élianor visualisa un paysage apaisant puis songea au lac situé en contrebas du Sanctuaire d’Yparys, aux merveilleux instants passés en vol avec Guillaume, à l’unique baiser qu’ils avaient échangé. Ses muscles se détendirent petit à petit, sa mâchoire se relâcha. Elle réussit à remuer ses doigts, et finalement, son souffle retrouva un rythme régulier.
— Voilà, c’est bien, respirez. Tout a l’air normal, énonça le docteur. Vous savez que vous êtes un petit miracle. Il vous faudra du temps pour recouvrer vos facultés motrices, mais ça viendra. Vous êtes jeune et forte.
Le regard d’Élianor s’attarda sur l’homme aux cheveux gris qui vérifiait ses constantes. Ses prunelles pleines d’empathie croisèrent les siennes et elle lui sourit avec reconnaissance. Son corps avait enfin décidé de coopérer et reprenait vie doucement. Bien qu’elle fût encore faible, l’espoir revenait, timide, mais bien présent.
La panique s’atténuait, elle se sentait mieux malgré la boule d’angoisse nichée au creux de sa gorge. Élianor devait mettre de l’ordre dans ses réflexions. La priorité absolue était de révéler la vraie nature d’Anita, et vu son état, ça risquait de s’avérer compliqué. Petit à petit, ses inquiétudes s’évaporèrent, une brume doucereuse envahit sa tête. Le médecin avait dû lui administrer un quelconque calmant.
Ses paupières cillèrent tandis qu’elle luttait pour garder les idées claires, peine perdue. Finalement, le sommeil l’emporta et elle cessa de se battre.
* * *
— Ma fille, tu es réveillée !
Prévenu, Hector venait d’arriver dans la chambre, les yeux brillants de bonheur. Il avait changé depuis un an. L’homme austère, froid et invisible qu’il avait été muait en personne sensible. Après l’avoir étreinte et s’être assuré de sa santé, il s’assit près d’elle. L’infirmier les laissa seuls après avoir obtenu la promesse du visiteur qu’il ne resterait pas plus de quinze minutes. Hector serra la main de sa fille dans la sienne. Ces derniers mois l’avaient éreinté, ses traits creusés semblaient afficher dix ans de plus. Les tortures que les femmes de la Guilde Sombre lui avaient fait subir l’avaient marqué à vie. Son regard gris acier détailla Élianor avec tendresse, un sourire éclaira son visage pâle.
— Tu n’imagines pas à quel point je suis soulagé que tu sois réveillée. Tu nous as tellement manqué. Je préfère encore endurer les sévices de ces sorcières plutôt que ton absence. Je ne supporterai pas de te perdre, tu m’es bien trop précieuse.
La stupeur mêlée à une once de gêne envahit Élianor. Hector qui s’épanchait sur ses sentiments, c’était une sacrée nouveauté. Cependant, son esprit fatigué la ramena à la priorité absolue : le prévenir pour Anita. Faible, elle remua les lèvres avec autant d’ardeur qu’elle le put, hélas sa gorge abîmée par les tuyaux ne coopéra pas et n’autorisa aucun son à sortir.
— Tu dois rester tranquille, lui conseilla Hector. Tu te remettras, j’en suis sûr, mais il te faut du repos. Je dois annoncer la nouvelle aux autres. Ils seront ravis et je pense que Youri te transférera au Sanctuaire rapidement. Tout le monde est en forme et nous n’avons pas eu de récentes alertes concernant la Guilde Sombre.
Son regard se fit fuyant avant qu’il ne débite :
— Et… pas de signe de ta sœur.
Il fourragea dans ses mèches grises éparses puis ajouta :
— Je suis navré pour tous ces secrets et que tu les aies découverts ainsi. J’ai fait ça… par… par amour.
Il paraissait si désolé, si ému et malheureux qu’Élianor n’eut pas le cœur à s’énerver. Lentement, elle pressa ses doigts pour lui signifier qu’elle ne lui en voulait plus. Ces derniers jours, elle avait eu le temps de réfléchir et d’apaiser sa colère. Les heures passées immobile, coincée dans son propre corps, lui avaient permis de réaliser pourquoi il lui avait dissimulé tout cela : pour la protéger. En revanche, elle ne savait pas du tout comment lui faire comprendre le danger qui rôdait.
— À partir de maintenant, ça sera différent. Je serai là pour veiller sur toi, comme un vrai père, murmura-t-il avec émotion. Promis, il n’y aura plus de cachotteries.
Elle essaya encore de prononcer un mot, en vain.
— Repose-toi, ça ira mieux bientôt. Je dois te laisser, sinon le médecin va me disputer. Je t’aime.
Il embrassa son front et, après une dernière étreinte, quitta la pièce.
La suite de la journée fut ponctuée par le passage des infirmiers qui vérifiaient son état, changeaient sa poche d’urine, prélevaient du sang. Au fil des heures, la jeune fille récupéra un peu de mobilité dans ses bras et son cou et parvint à émettre de légers sons. Ses muscles semblaient avoir fondu après ce mois d’inactivité, ses articulations étaient raides. Désespérée, Élianor essayait de faire comprendre au personnel qu’elle souhaitait une feuille et un crayon pour écrire un message. Hélas, à part lui dire de se reposer, ils ne faisaient pas attention à ses efforts. Il fallait avouer que les bruits qu’elle émettait étaient inintelligibles, que ses mouvements étaient à peine perceptibles et qu’ils étaient beaucoup plus préoccupés par sa santé que par ses tentatives pour communiquer. Résignée, elle s’enfonça dans un sommeil agité rempli de rêves effrayants, sans avoir retrouvé ses facultés motrices ni sa voix.
À plusieurs reprises, l’adolescente se réveilla en sueur. D’étranges flashs émaillés de sang et de créatures inconnues lui restaient en tête, laissant un goût amer dans sa bouche. Après un énième réveil, elle parvint enfin à remuer ses doigts un par un et l’espoir l’envahit. Une ombre se glissa soudain dans sa chambre par l’entrebâillement de la porte. À cette heure tardive, l’hôpital était calme, aucune conversation ne résonnait, seuls quelques bips lancinants rompaient parfois le silence. Furtivement, l’intrus progressa dans l’obscurité sans avoir conscience qu’il était observé. Tout de noir vêtu, il portait une cagoule et des gants. Impuissante, Élianor ne fit aucun mouvement, cessant même de respirer. Elle savait que cette intruse n’était pas là pour discuter avec elle. Un parfum sucré flotta jusqu’à ses narines alors que la silhouette approchait. Sans véritable surprise, elle reconnut Anita. Sa poitrine se serra de chagrin et de peur.
La traîtresse venait achever son travail.
À la lueur des machines, la Gardienne distingua le canon d’un silencieux pointé sur son visage.
— Rapide, précis, chuchota son ancienne meilleure amie. Cette fois, je ne prendrai pas de risques. Adieu, ma chérie.
L’instinct de survie d’Élianor s’imposa, son sang ne fit qu’un tour. Ses yeux devinrent rouges, flamboyant dans la nuit. Ses doigts se posèrent sur la main de la meurtrière qui n’eut pas le loisir de réagir. Elle avait pu calmer Elliot grâce à son pouvoir de maîtrise des émotions, elle devait réitérer l’exploit. Alors qu’elle visualisait un flux pourpre associé à la sensation de douleur et imaginait les plus horribles tortures, Anita poussa un hurlement puis bascula en arrière sans avoir eu le temps de tirer. L’arme échoua sur les draps. À terre, son corps se tordit de souffrance.
— Allez, bordel, s’énerva Élianor qui cherchait à atteindre le bouton d’appel d’urgence.
Après un ultime effort, elle réussit finalement à l’attraper, mais Anita reprenait ses esprits. Elle rampa puis s’agrippa au lit en grondant de fureur. En dernier recours, Élianor se saisit de l’arme à feu. Son poids l’étonna, elle n’en avait jamais tenu auparavant. Réticente, elle la dirigea sur son ennemie qui s’immobilisa.
Avec difficulté, elle articula :
— Ne… m’oblige… pas…
— Ma pauvre, tu n’as jamais tué personne ! T’es trop nulle pour ça ! ricana la traîtresse, nullement apeurée.
— Je… t’en prie, arrête. Pour… pourquoi ? Pourquoi tu fais ça ?
— Pourquoi ? Mais parce que seule Héra détenait la vérité ! Ses idéaux sont la solution à tous nos problèmes. Les humains, cette race de dégénérés, j’ai honte d’en faire partie. Ils doivent cesser d’exister ! La Guilde Sombre est ma famille et l’unique espoir de notre planète. Et toi, tu es le plus gros obstacle à nos projets. Je te hais depuis mon enfance, Élianor.
La Gardienne choquée souffla :
— Je ne comprends pas.
— Tu dois mourir ! Est-ce assez simple, dit comme cela ?
Les paroles terribles accompagnées de son regard sans âme finirent de convaincre Élianor ; il n’y avait plus aucun espoir. Sous la coupe de la Guilde sombre, son ancienne amie s’était perdue. Sans un mot de plus, la Gardienne enclencha le chien puis resserra sa prise. Son adversaire ne montrait toujours aucune peur, pas le moindre tressaillement. Elle restait là, immobile et droite, à la toiser de ses pupilles glacées.
— T’en auras pas le courage ! Accepte ton destin, tu seras en paix et tes malheurs s’arrêteront.
Le coup partit brutalement. Surprise par le recul, Élianor lâcha le pistolet. La balle se ficha dans le mur en face sans toucher Anita. Celle-ci, choquée du geste de la Gardienne, ne réagit pas tout de suite. Les pas du personnel médical retentirent dans le couloir. La lumière inonda la pièce alors qu’ils entraient en courant. Deux Guerriers de la Guilde se trouvaient parmi eux. Avec un réflexe parfaitement rôdé, Anita leur fit front en position de défense.
— Ne bougez plus ! ordonna l’un d’eux en pointant son arme.
Affichant une détente féline, Anita, toujours cagoulée, lui sauta dessus, le bloqua entre ses cuisses musclées, et, d’une prise, le jeta au sol. Elle s’accroupit puis faucha le second. L’action ne dura deux secondes. Ils se relevèrent tout aussi vifs qu’elle et attaquèrent d’un même élan. Sa fausse amie se révéla une grande combattante ; souple, rapide, forte et endurante. Élianor n’en croyait pas ses yeux, elle ne la reconnaissait pas.
Comment avait-elle pu se tromper sur son compte à ce point ?
La jeune blondinette pétillante et désinvolte qu’elle avait côtoyée toutes ces années était en réalité une machine à tuer.
Effrayés, les infirmiers fuirent hors de la chambre, deux Guerriers supplémentaires surgirent. Le combat faisait rage, semblant sans issue et s’éternisait. Nullement inquiétée, Anita parut même prendre le dessus sur les nombreux hommes face à elle.
La colère s’insinua petit à petit dans le cœur d’Élianor et remplaça la peur ; sa seule amie, la seule personne à qui elle avait donné son entière confiance.
Quelle erreur !
Cette trahison est inconcevable, inacceptable.
Les murs tremblèrent sous l’onde de choc d’un monstrueux impact qui déstabilisa tout le monde, puis un rugissement furieux retentit. Les assaillants se bouchèrent les oreilles sous l’intensité du bruit. Anita parut elle aussi perturbée, et leva la tête en direction du plafond avec un regard surpris. Une force nouvelle traversa Élianor et elle comprit que le Dragon bleu arrivait. Le cœur de la créature se mit à battre en elle, lui apportant réconfort et amour. Elle perçut la fureur de l’animal, son envie de tuer celle qui venait d’attaquer la Gardienne.
Sa Gardienne.
Il était d’une telle puissance que la jeune fille en frissonna. Ses griffes gigantesques crissèrent sur le béton du toit de l’hôpital, quelques morceaux tombèrent puis éclatèrent au sol avec fracas. S’il continuait, il ferait s’effondrer le bâtiment en entier. L’Énergie de son compagnon la traversa comme un champ électrique et lui donna la force de se redresser et de se saisir de nouveau de l’arme.
— Ne bouge plus ! hurla-t-elle en mettant en joue celle qui avait été son amie.
Anita se retourna lentement, la jaugeant d’un regard rempli de haine. Les Guerriers profitèrent de ce détournement pour s’emparer d’elle et bloquèrent ses bras dans son dos. Un homme large comme une armoire apparut dans l’embrasure de la porte. Sa peau noir ébène luisait de sueur comme s’il avait couru.
Youri, le Grand Maître du Sanctuaire d’Yparys.
Ses pupilles brillaient d’inquiétude, mais cela n’empêcha en rien sa puissante aura d’envahir la pièce. D’autres Guerriers en uniforme de la Guilde le suivaient.
— Élianor, tu peux lâcher l’arme, demanda-t-il. Doucement, s’il te plaît.
La jeune fille la déposa sur les draps avec mille précautions avant de se relâcher dans un gémissement soulagé lorsqu’un des Guerriers la ramassa. Youri fit un signe, et deux infirmières hésitantes vérifièrent qu’elle n’était pas blessée. La plupart du personnel médical avait quitté l’hôpital en panique après l’atterrissage du Dragon, pensant qu’un tremblement de terre venait d’avoir lieu. Ces deux femmes étaient les seules à avoir eu le courage de rester pour aider à soigner les patients. D’ailleurs, la présence de l’immense créature se devinait encore. Une sorte de ronronnement résonnait dans la nuit et faisait vibrer le sol sous leurs pieds, provoquant un malaise ambiant. Bien qu’ils soient des alliés sages et anciens, les Dragons, par leur caractère compliqué et leur puissance, avaient toujours effrayé les hommes.
Youri arracha la cagoule d’Anita d’un geste brusque. Une cascade de cheveux blonds dégringola. Ses yeux s’agrandirent en découvrant la jeune fille qu’il avait lui-même admise au Sanctuaire et initiée.
— C’est pas possible…, articula-t-il avant d’ajouter : bravo, je ne me serais jamais douté que derrière la petite ingénue se cachait une tueuse sans âme.
— Peu importe que vous m’éliminiez ! rugit la blonde. D’autres viendront. Coupez une tête, il en repoussera deux.
— Oh, mais nous n’allons pas t’éliminer, ma chère. Ce n’est pas notre style et on a beaucoup de choses à se dire, toi et moi.
Elle ricana d’une façon cynique, puis approcha son visage de celui de Youri.
— Vous crèverez tous, nous sommes les plus puissants.
De la mousse se forma à la commissure de ses lèvres. Sans cesser de rire, elle commença à haleter. Ses yeux se révulsèrent, ses muscles se tendirent.
— Du poison ! Faites-la vomir ! hurla le Grand Maître alors qu’elle se mettait à convulser.
Les Guerriers l’allongèrent au sol, des blouses blanches se précipitèrent. La jeune fille cracha de la salive rougie de sang. Son corps s’arc-bouta dans un dernier soubresaut. Dépité, le médecin jeta un œil sombre à Youri puis secoua la tête.
Face au cadavre de celle qui avait été sa meilleure amie pendant des années, Élianor était en état de choc. Elle repensa à leurs moments passés ensemble, à discuter de tout et de rien, à la joie de vivre et à la futilité d’Anita, à sa façon d’être présente et de la réconforter.
Tout cela n’était pas réel, tout cela n’était encore que des mensonges.
Sa vie entière n’était qu’un vaste mensonge.
Des sanglots incontrôlables la saisirent, comprimèrent sa gorge, sa poitrine, lui coupant le souffle. Les larmes dévalèrent ses joues sans qu’elle ne puisse rien y faire.
Pourquoi était-elle revenue dans cette existence aussi dure et impitoyable ?
Pourquoi ne pas avoir refusé l’offre des Anciens ?
Quelle folie !
Des bras chauds l’étreignirent avec force. Elle releva ses yeux noyés de brume pour les planter dans ceux de Youri. Il la regardait avec une tendresse infinie et alors qu’elle sombrait dans l’inconscience, une seule pensée hanta son esprit : la mort était si douce.
Comment allait-elle pouvoir supporter cet enfer ?