« Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! »

Jacques de Molay, Grand-Maître de l’Ordre du Temple. Du haut de son bûcher. Mars 1314 ; île aux Juifs. Paris.

PROLOGUE

L’ogresse de Reading

 

Scorpio — Jasper Snell

Mars 1881, à proximité de Londres, Angleterre

 

— Hé, petiot, bouge-toi, et plus vite que ça !

J’observai le visage d’Amelia Dyer, ma « nourrice » depuis ma plus tendre enfance, ses traits creusés par l’âge et la misère. Si pour le commun des mortels, elle faisait partie de ces nombreuses « fermières d’enfants » du pourtour de Londres, et était considérée comme charitable en recueillant des enfants illégitimes, abandonnés ou égarés, pour moi, elle incarnait le mal absolu.

Tout mon être la haïssait.

Mes lèvres se crispèrent, ma gorge se serra. Un goût amer s’invita sur ma langue tant elle avait l’apparence d’une sorcière malfaisante de conte pour enfants. D’une ogresse.

— Qu’est-ce t’as à me regarder avec ton air de poulet maltraité ? Faut-il que j’vienne te botter le derrière ?

— Non, madame, me repris-je en baissant les yeux.

— T’sais pourquoi je te garde, alors me déçois pas.

Oh, je le savais, mieux que personne. Si je respirais encore, si son funeste mètre-ruban ne m’avait pas soumis à son étreinte létale, c’était pour une bonne raison : elle avait besoin de moi, de ma force physique. Les autres enfants étaient trop faibles ou trop… morts. Les années passant, Amélia avait compris qu’elle ne pourrait pas poursuivre seule ses forfaits, et m’estimait assez solide pour prendre sa relève. Je m’étais donc retrouvé quelques mois plus tôt − à tout juste douze ans −, investi d’une « mission sacrée », selon ses propres dires. Au début, elle me forçait uniquement à recouvrir d’un linceul les corps de pauvres gamins sacrifiés ainsi qu’à creuser leurs tombes dans la forêt alentour.

Leur dernière demeure.

Je les enviais.

Ils échappaient à la sorcière, à l’enfer sur terre, ils étaient libres. Quant à moi, j’étais obligé d’obéir, d’encaisser, d’accepter. Si son sadisme la poussait à poursuivre ses violences, elle me laissait à présent précipiter entre les bras de la faucheuse mes camarades d’infortune. Moi, le gamin insipide aux iris trop bleus et à la peau trop mate, le bâtard pouilleux sans avenir, j’étais devenu un voleur de vie.

Drôle de destin, n’est-ce pas ?

En vérité, mon sort n’avait rien de drôle, il était tragique au contraire. Malgré mon jeune âge, je le réalisais à chaque assassinat, lorsque mon âme se morcelait davantage.

Dans la poche de mon vieux pantalon, mes doigts se refermèrent sur ma malédiction, ce ruban de tissu servant normalement à la couture. Mon estomac émit une protestation douloureuse tant en raison de la faim qu’à l’idée des interminables minutes à venir.

Parce que oui, ôter la vie par étranglement s’avérait long.

Trop long.

Pire, je ressentais parfois une étincelle d’excitation. Une excitation malsaine qui enflammait mes tripes, mais torturait mon âme. À force de mauvais traitement, je m’étais détourné de Dieu, étais-je pour autant prêt à me damner ? À embrasser le Diable ?

— Qu’attends-tu ? Fais ce que je t’ai ordonné ! tempêta Amelia.

Je relevai les yeux.

Mes entrailles se révoltèrent, mon cœur s’affola et je murmurai une prière silencieuse pour la gamine recroquevillée dans un recoin de notre masure qui aurait pu être un foyer chaleureux s’il n’était tenu par une démone.

— Allez, bouge ! hurla-t-elle.

Mon instinct de survie prit le dessus. Je me forçai à sourire tout en me dirigeant vers Mary, qui semblait terrorisée. Ses prunelles affolées nous scrutaient, la fermière et moi.

Moi, son bourreau.

Mon cœur se crispa de nouveau. Elle était si jeune, à peine trois ans, si petite, si faible, et tellement jolie.

— T’hésites, petiot, pourtant je sais que t’aimes ça. Hein ? Y a trop de bouches à nourrir de toute façon, le ménage s’impose.

Je déglutis, choisis de ne pas répondre à cette immonde femme, et restai concentré sur la gosse. Ses joues creuses marbrées de poussière tremblèrent et comme elle le faisait toujours, elle me tendit les bras en toute confiance. Je la rejoignis en quelques pas, m’installai derrière elle, la serrai contre moi avant d’entamer une berceuse d’une voix éraillée. Une voix que j’eus du mal à reconnaître, trop grave pour un enfant, mais pas tout à fait celle d’un adulte.

Encore une, encore une victime de ce monde injuste, de cette matrone dégénérée.

Et j’en étais le bras armé.

 Tout en continuant de chantonner, je caressai une dernière fois les boucles sales et emmêlées de la petite, sortis le ruban de ma poche et, d’un geste vif, le lui noua autour du cou. Tandis qu’elle se débattait contre moi, je serrai de toutes mes forces afin abréger ses souffrances.

— Bon voyage, Mary, chuchotai-je à la poupée de chiffon désormais inerte. Te voici libre.

Des larmes brûlantes m’échappèrent, réaction qui m’était jusque-là inconnue. La terreur explosa dans mes entrailles, car je n’avais pas le droit d’exprimer mes émotions, Amelia l’interdisait. 

— « Bon voyage » ? cracha-t-elle, agressant mon nez de son haleine putride. Tu t’apitoies sur tes victimes maintenant ? Tu chiales en plus ?

 Sa paume frappa ma joue humide puis elle prit mon bras et me releva avec brutalité. Mon cœur se déchira lorsque le pauvre petit corps supplicié de Mary tomba sur le sol.

Cette ogresse faisait de moi un assassin après avoir rongé par ses mauvais traitements ma flamme déjà vacillante d’enfant abandonné. J’avais pris sur son ordre la vie de si nombreux innocents, plus rien ne pouvait désormais sauver mon âme.

J’étais maudit à vie et à mort, maudit pour l’éternité.

La rage m’envahit, je me débattis comme un forcené. D’abord surprise par cet élan de révolte, la fermière se ressaisit ; contrairement à moi, elle n’éprouvait ni empathie ni pitié. Nulle hésitation ne vint ternir la flamme meurtrière de ses iris gris. Sa force décuplée par la folie, la mienne amoindrie par la faim et les coups, je ne pus l’empêcher d’enrouler lentement ses doigts autour de ma gorge.

Elle sourit de toute sa bouche édentée puis chantonna son oraison funèbre :

— Dors, dors, petit ange, maman prendra soin de toi. Dors, dors, petit ange, à jamais miens tu seras. Dors, dors, petit ange, l’éternité tu trouveras.

Elle ne chantait cette comptine qu’à ceux dont elle volait la vie, un adieu musical aux notes dramatiques. L’issue de cet étrange tête-à-tête ne laissait plus guère de place au doute. Un frisson glacé dévala mon dos lorsqu’elle resserra ses griffes autour de mon cou, m’empêchant de respirer.

— Ça m’avait manqué, Jasper, susurra-t-elle. J’ai aimé te voir les tuer, mais le faire de mes propres mains est foutredieu plus jouissif.

Le blasphème n’avait rien d’inhabituel, en revanche qu’elle prononce mon prénom m’épouvanta ; signe inéluctable que je vivais mes derniers instants. Au gré de mes halètements, elle ricana, jubila, scruta le vide qui s’invitait dans mes yeux écarquillés.

— L’approche de la mort est le seul moment où les masques tombent. Les seuls où ces fichus humains, cette race pourrie, font preuve d’honnêteté.

Elle cracha au sol pour marquer son mépris sans pour autant desserrer son étreinte. J’avais si souvent infligé cette torture, je savais que mourir privé d’air prenait du temps, et qu’on souffrait affreusement. Non, rien ne pourrait jamais racheter mes actes. J’étais damné sur cette terre et en enfer. Que me restait-il donc ? Le néant, mon ultime échappatoire.

Souffrance.

Râles d’agonie.

Puis vint le noir absolu, plus terrifiant encore, bien différent de cette libération tant espérée. Pourtant, si la mort m’avait emporté, pourquoi sentais-je les relents aillés du souffle chaud de la tueuse ? Pourquoi entendais-je sa respiration sifflante agitée par l’excitation ?

Prisonnier de mon corps, je fus incapable du moindre mouvement quand elle me souleva tel un fétu de paille et m’emporta à l’extérieur. Mon dos heurta une surface en bois, sans doute la vieille charrette. Après ce qui me parut une éternité, les roues grincèrent, le fouet claqua, l’âne brailla son désaccord, puis les chaos du chemin me secouèrent.

Pas ça. Non pas ça.

Entre inconscience et éveil, une panique sourde rongeait mon être à l’agonie. Je fus de nouveau soulevé puis jeté au sol. Le petit corps tiède de Mary atterrit sur moi avant que des pelletées de terre nous recouvrent. Je hurlai en silence. Trop faible, trop brisé, je ne parvins pas à remuer un seul doigt.

J’aperçus l’éclat du soleil printanier à travers mes cils. Si la nature renaissait de ses cendres, j’allais quant à moi rendre mon dernier souffle. Je n’étais pas prêt à mourir, quand bien même je l’avais si souvent souhaité. Je n’avais que douze ans, ne connaissais rien d’autre que l’enfer de cette existence.

Et pourtant.

Pourtant…

Dors, dors, mon petit ange.

***

 

— Jasper Snell, résonna une voix douce. Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tu da gloriam.[1]

Une paume rugueuse débarrassa mon visage des restes de terre puis traça un signe sur mon front. Je grimaçai à cette intrusion tandis qu’une question virevoltait dans mon esprit épuisé. Une toux atroce me secoua.

Pourquoi vivais-je encore ?

Chaque respiration m’arrachait la gorge, chaque battement de cœur ressemblait à une éternité douloureuse. Dieu n’avait-il donc pas eu pitié de moi ?

— Tu te meurs et je sais combien tu souffres, mon enfant, reprit la voix. Mais il me faut ton consentement, sans cela, je ne pourrai rien pour toi. Ouvre les yeux, vois qui s’adresse à toi. J’ai voulu intervenir plus tôt, t’éviter cet enfer, hélas, ceci n’est pas de mon ressort. De la douleur naissent les plus grands héros. Et tu es spécial, unique.

Le souffle brûlant de la faucheuse taquinait ma nuque, je me sentais glisser chaque seconde plus loin dans la mort.

Emporte-moi, libère-moi, la suppliai-je en silence, dévoré de souffrance.

— Écoute-moi, Jasper, d’ici une à deux minutes, tu passeras de l’autre côté. Et je ne pourrai plus rien pour toi. Le grand voyage t’attend. Mais je peux te ramener. Faire de toi un frère juré, un Aeternus, un sauveur qui foulera à jamais cette terre, prêt à défendre, prêt à obéir, prêt à tuer. M’entends-tu, petit ? Je t’en prie…

Une tape sur ma joue fit frémir mes paupières, mais je ne pus les soulever tant j’étais faible et indifférent. Moribond.

— Souhaites-tu vivre ? Veux-tu revenir en conquérant ? Jasper Snell, tu dois me répondre. Oui ou non. Ceci sera ton choix, un choix éternel.

Ma gorge blessée émit un râle.

— Vivre ou mourir ? Réponds, petit.

Des doigts agrippèrent mes épaules, me secouèrent.

— La vie ne te suffit pas, soupira l’inconnu. Alors… peut-être que l’idée d’une vengeance te donnera la force. Tu es le plus jeune de ceux que j’ai recrutés, le plus abîmé, Seigneur, apportez-lui le courage.

La vengeance ?

Mon cœur battit un peu plus vite dans sa débandade vers l’agonie.

Le visage d’Amelia remplaça la brume. Tous ces enfants, ces sévices, cette injustice, toutes ces humiliations et ces souffrances, la vengeance résonnaient à mon esprit épuisé comme une douce mélopée. Un rictus déforma mes lèvres sèches.

— Vivre ou mourir ? répéta l’homme.

Alors que mon dernier souffle quittait mon corps décharné, un unique mot réussit à affronter la mort.

— Vivre.

[1] Devise des Templiers, traduit du latin, littéralement : Non pour nous, Seigneur, non pour nous, mais pour la gloire de ton nom.

1

Complices

 

Sherine

3 novembre 2013, Paris 12e

 

Ferme les yeux, gamine, ferme-les fort et tout ira bien. Ta dette sera payée.

Je plonge et je me noie, je suffoque et je meurs, mais jamais, non jamais je ne lâcherai ta main. De toutes mes forces je te retiens, toi mon frère, toi si doux et naïf. Puis une vague nous frappe, toi tu t’enfonces et moi je hurle.

Alors, je m’éloigne de cette embarcation précaire sans plus réfléchir, la surface grise m’avale, mes doigts ne trouvent plus les tiens. Mon univers s’effondre. Sans mon petit frère, que me reste-t-il ? La vie m’a déjà tant pris.

Puis le monstre rugit, sa poigne m’emprisonne, je retrouve le bateau malmené par les flots enragés de la grande bleue. Ma voix devient hystérique, je ne peux pas t’abandonner.

Ferme les yeux, gamine, tonne encore le monstre.

J’obéis, il te ramène, j’obéis, il jubile et mon monde se ternit, la couleur s’évanouit. Je crache autant d’eau que de sel, autant d’horreur que de dégoût.

Ferme les yeux.

Mes paupières s’abaissent, mon âme brûle, mais toi, mon frère chéri, tu vis.

 

 

Ouvre les yeux, gamine.

 

***

 

J’écarquillai les yeux dans l’obscurité et tentai de me rassurer : j’étais chez moi, dans mon appartement, en sécurité ; aucune tempête ne faisait rage entre ces murs. Pourtant, mon cœur peinait à ralentir, dévoré par ces cauchemars récurrents.

Chaque nuit, je me réveillais en sueur, chaque nuit j’éprouvais des difficultés à retrouver Morphée. Foutu passé qui me hantait, un passé vieux de quinze ans, mais qui me semblait encore si vivace. J’aurais tout donné pour m’en débarrasser, hélas, rien n’y faisait. Ni les séances chez les psys ni les discussions avec Eiji ou Amhed, mes deux seuls amis. Aucun mot, aucun traitement ne pouvait expulser de mon corps les restes poisseux de mon enfance. Je devais vivre avec, et depuis quelques mois, je m’y étais résignée.

Je déglutis une salive aigre puis m’extirpai de mes draps humides avant de les repousser. Tel un zombie, j’avançai jusqu’à la salle d’eau, aussi discrète que possible. Rompue à cet exercice nocturne, je ne réveillais que rarement Joran — mon frère plus jeune de quatre ans.

Je virai brassière et short, entrai dans la douche, réglai le thermostat sur glacial puis ouvris le robinet à fond. L’eau s’abattit sur ma crinière de boucles indomptées. Un cri s’étrangla dans ma gorge, mes mâchoires se contractèrent.

— Azéa, Billy, Romuald, énonçai-je en encaissant l’épreuve. Calista.

Je plaquai mes paumes contre la faïence, tout en continuant de lister mes chers disparus :

— Lydia, Bonzo.

Mes muscles se pétrifièrent, mon souffle court s’affola. Mes doigts se recourbèrent, meurtrissant mes ongles déjà rongés à sang.

— Aziz. Namura.

Je gémis en m’efforçant de mieux respirer. Si je voulais récupérer quelques heures de repos, je n’avais d’autre choix.

— Mercy. Isak, conclus-je.

Mes parents de sang.

Tant de morts, tant de souffrances. Ces personnes avaient traversé ma vie, puis l’avaient quittée de manière brutale. Certains dans l’attentat qui avait détruit le dispensaire détenu par l’association caritative où œuvraient mes parents ; les autres plus tard, à bord du bateau qui nous emmenait loin de ma contrée natale, le Zimbabwe. Bien qu’en paix, ce pays était souvent la proie de groupuscules terroristes.

Ma mère en était originaire, mon père, lui, venait de Suède. Tous deux faisaient partie de ces humains pétris d’altruisme, qui pensaient aux autres avant de penser à eux. Le grand cœur de mon père avait causé sa perte. Toutefois, si j’avais pu le lui demander, j’étais persuadée qu’il m’aurait affirmé ne rien regretter. Que ses trop courtes années de bonheur à aider les plus démunis auprès de nous l’avaient comblé.

Il était comme ça, mon père : un diamant pur.

Ses origines mêlées aux gènes de ma mère nous avaient offert ce joli grain de peau doré. Mon frère et moi avions également hérité de ses yeux bleus typiquement nordiques qui contrastaient avec nos cheveux sombres ; les mêmes que notre mère, épais et soyeux, avec une forte tendance à boucler. Chaque soir avant de m’endormir, je tentais de me souvenir de son rire léger. Ma plus grande peur en ce monde était d’oublier combien j’avais aimé l’entendre, combien j’avais aimé me blottir entre ses bras doux.

Elle était comme ça, ma mère. Un rayon de soleil.

Tremblante, je quittai le carcan glacé de la douche, passai un long tee-shirt propre à l’effigie des Fall Out Boy, puis titubai jusqu’au clic-clac qui me servait de lit. L’unique chambre du minuscule logement était attribuée à Joran. Dès notre emménagement quelques mois plus tôt, j’avais tenu à ce qu’il ait son intimité ; son petit nid dans notre nid. Plus que tout, je souhaitais le bonheur de mon frère. En seconde place venait mon rêve : réussir ma carrière de journaliste. Par-dessus tout, je nous avais fait une promesse que pour rien au monde je ne romprais : plus jamais Joran et moi ne ressentirions la faim, la soif ou la terreur. Parce que oui, c’était ça le pire : ne pas se sentir protégé, même au sein d’un foyer aimant. Pour y parvenir, j’étais prête à sortir les griffes telle une lionne.

Je fronçai les sourcils en entendant sa voix grave résonner à travers la porte de sa chambre. Mon cœur s’apaisa de le savoir en sécurité près de moi. Pourquoi ne dormait-il pas à cette heure improbable ? Je tendis l’oreille afin de capter quelques mots, un indice. Sans succès. De toute évidence, il discutait au téléphone. Un sourire étira mes lèvres. À dix-neuf ans, Joran n’avait jamais eu d’histoire d’amour en dehors de sa passion pour le judo, du moins, aucune assez importante pour m’en parler. Même s’il était pudique sur ses émotions, lui et moi nous disions tout depuis toujours, liés à la vie à la mort. J’espérais que bientôt, il trouverait une personne capable de lui redonner un véritable sourire pour gommer ce masque lisse et poli qu’il arborait. Un masque aussi faux que le mien.

Ma nature curieuse prit le dessus. J’avançai dans l’obscurité et collai l’oreille contre le battant.

— Merde, ronchonnai-je en comprenant que la conversation était terminée.

La porte s’ouvrit soudain et la lumière de son plafonnier m’éblouit.

— Bordel, Sherine, à quoi tu joues ? s’exclama-t-il en me découvrant.

Je ripostai avec toute la mauvaise foi du monde :

— Et toi ? Tu devrais dormir !

Il inclina la tête avec un air mécontent, plongeant ses yeux bleus dans les miens. Je finis par perdre à ce jeu de regards et passai aux aveux :

— Ouais, bon… OK. Pardon. J’ai entendu du bruit et je me demandais avec qui tu discutais. Une jolie copine ? Un mec canon ? Dis-moi tout.

— Ma sister, la reine des fouines. Ça ne te concerne pas, si j’ai envie de t’en parler, je t’en parlerai.

Vexée, je me renfrognai puis croisai les bras.

— Tu changeras jamais, S ! s’esclaffa-t-il.

— Pour quoi faire, J ? le raillai-je, un brin amère.

— Peste.

— Blaireau.

— Morue.

— Va te coucher ! ripostai-je à bout de réponses valables.

— J’aimerais bien, môman, mais je voudrais pisser et tu bouches le passage.

Je me décalai en retenant un rire gêné puis l’observai qui s’enfermait dans les toilettes. Ce n’était ni la première ni la dernière fois qu’on me surprenait en flagrant délit de curiosité ; une de mes spécialités. Mon choix de carrière n’avait rien d’anodin, j’avais toujours adoré fourrer mon nez partout, enquêter, chercher des réponses, poser mille questions ou analyser. Plus le mystère planait, plus il attisait mon intérêt.

Léger tel un éléphant narcoleptique, la main perdue dans sa touffe de cheveux hirsutes, l’œil hagard, les épaules voûtées, Joran réapparut. Plus grand que moi, mais tout aussi fin, il possédait néanmoins une force impressionnante. Sa pratique intensive du judo avait modelé sa silhouette. J’étais si fière que le garçonnet famélique soit devenu un homme solide.

Ses doigts me saisirent aux bras pour m’obliger à dégager en direction du clic-clac.

— Va dormir, S, ronchonna-t-il.

— Toi aussi, J.

Il claqua de la langue avec agacement avant de disparaître dans sa chambre. Depuis notre arrivée à Paris, il se montrait plus sec envers moi. Cela m’inquiétait, mais par bonheur, j’eus le temps de surprendre un sourire complice sur son visage fatigué. Nous avions beau nous chamailler comme deux gosses, personne ne pourrait nous séparer. Une autre promesse formulée à moi-même quand nos parents étaient morts dans cette explosion, renforcée lors de notre traversée chaotique en mer. Je veillais sur lui farouchement et quiconque oserait toucher une de ses bouclettes aurait affaire à moi.

J’étouffai un bâillement avant de me jeter sur le matelas inconfortable, bougonnai un juron puis m’étirai. Après un tour sur les réseaux sociaux, je reposai mon téléphone puis m’obligeai à clore mes paupières. Je devais dormir. Demain m’apporterait la consécration, demain je décrocherais enfin un job.

2

Et un jour, un porc

 

Sherine

 

4 novembre 2013

 

Ouvre les yeux, petite.

Je m’assis dans un sursaut, le cœur affolé par un énième cauchemar. L’odeur familière du café s’invita dans mon nez, suivie par celle de l’après-rasage de Joran. Mon nid. Notre chez-nous.

Respire, S, vous êtes en sécurité.

Un coussin en plein visage m’extirpa des brumes de mon sommeil.

— Sister la marmotte, t’as loupé ton alarme.

Mon regard tomba sur l’énorme horloge accrochée au mur, un des rares objets décoratifs de l’appartement déniché l’an dernier dans une brocante à Annecy. La ville où nous avions été recueillis Joran et moi, là où vivaient nos parents adoptifs : les Weber.

8 h 35 !

— Bon sang, tu pouvais pas me réveiller ? Je dois être à 9 h à mon entretien.

— La mélodie de tes ronflements se mariait à merveille avec la dégustation de ma biscotte beurrée.

— J’en ai ras le bol que tu prennes tout à la légère, Joran.

— Oulaaa, elle prononce mon prénom en entier, ça rigole plus. C’est bon, c’est pas loin.

— Pas loin ? m’égosillai-je. T’as vu ma touffe ? T’as vu ma tronche ? Je te rappelle qu’on a besoin d’argent si on veut garder l’appart. Pa et Ma donnent tout ce qu’ils peuvent, ils sont presque à sec. On doit se bouger.

Il opina du chef avec une moue insolente.

— C’est pour ça que j’ai pris ce boulot au fast-food, je suis le frère idéal. Je suis sûr qu’en te magnant un peu tu seras à l’heure.

— Tu me rends folle.

Je lui renvoyai le coussin avant de bondir en direction de la salle d’eau pour me préparer. Les relents familiers d’humidité envahirent mon nez, le ploc ploc incessant de l’antique tuyauterie rythma mes ablutions. Par chance, l’eau chaude fonctionnait, ce qui n’était pas toujours le cas. D’un geste pressé, j’essuyai la buée sur le miroir fendillé puis forçai un sourire.

Cette fois serait la bonne, je le sentais.

Après cinq refus successifs à des postes de journaliste dans de grosses boîtes, j’avais décidé de m’orienter vers une feuille de chou de moindre importance. Sans expérience, je devais revoir mes ambitions à la baisse. Je pensais naïvement que mon enthousiasme, mon Master et mon bagou suffiraient à m’ouvrir toutes les portes.

Douche froide. Claque de réalité.

— Allez, S, t’es la meilleure, m’encouragea Joran depuis le salon. Arrête de bouder. Bientôt, ces enfoirés en costard sur-mesure viendront te supplier de bosser pour eux.

D’abord, il me fallait prouver ma valeur. Montrer de quel bois j’étais constituée et à quel point je pouvais m’investir dans ce métier difficile, contribuer à l’actualité, dénoncer les pires méfaits de l’humanité pour protéger les plus faibles. Pour cela, j’allais devoir dénicher un sujet brûlant, un sujet qui me propulserait dans les hautes sphères. Je commencerais au plus bas, puis grimperais les échelons jusqu’à frôler les étoiles. La plus belle des revanches avec le bonheur de mon frère. Mon sourire s’affirma, plus lumineux, sincère.

Je déboutonnai le col de ma chemise afin de montrer juste ce qu’il fallait de peau, ajustai ma veste cintrée puis enfilai mes escarpins d’occasion. Une fois ma crinière domptée, je ressemblais presque à une véritable Parisienne ; une femme moderne, active, indépendante.

Presque.

Au creux de mes prunelles flotteraient toujours les traces de mon passé, une lueur torturée, parfois sauvage et teintée de vengeance. Le sifflement admiratif de Joran me cueillit à la sortie de la salle d’eau.

— Si t’étais pas ma sœur, je…

— Si tu termines cette phrase, je te jette par la fenêtre, le coupai-je en levant un index menaçant.

— T’aurais pas la force, belle gosse.

— Va en cours.

— Et toi, décroche ce job. Tu vas gérer, j’en suis sûr.

Nos taquineries s’évaporèrent pour laisser place à notre complicité. De concert, on se rejoignit pour s’étreindre avec émotion et après quelques mots d’encouragement, on se sépara sur le trottoir de l’avenue Ledru-Rollin.

 

***

 

Mon sang ne fit qu’un tour. Un juron franchit la barrière de mes lèvres. Et ma main atterrit sur le visage rougeaud du rédacteur en chef alias directeur des RH, alias patron de l’entreprise, alias gros phoque pervers, qui recula avec un regard aussi surpris que meurtrier. Sa proposition de conclure notre accord par un petit « jeu entre adultes consentants » fut la déconvenue de trop. Outrée, choquée, furieuse, je récupérai ma veste et m’apprêtais à quitter le bureau lorsque la voix du sale porc m’atteignit :

— Vous regretterez votre geste, Weber !

Je pivotai vers l’enfoiré, qui à l’époque meetoo possédait, je le reconnaissais, une sacrée paire de couilles. Mais bien flasques les couilles, des couilles de pourriture.

— Un mot de plus et je fonce chez les flics.

— Pour leur dire quoi ? ricana-t-il, peu impressionné.

— Que vous embauchez vos journalistes à coups de boutoir.

Son rire suffisant me nargua puis il secoua la tête.

— Je ne vous aurais jamais embauchée. Et avec cette attitude, croyez-moi, vous êtes finie dans le milieu avant même d’avoir commencé.

— Je n’ai pas peur de vous.

Ses yeux s’étrécirent.

— Plus personne ne voudra de vous. Je connais du monde. Vous êtes pitoyables, tous les mêmes, les jeunes d’aujourd’hui, encore pire quand vous êtes un peu bronzés. Ça fait les malins, mais ça ne vaut rien.

Je déglutis afin de contenir le flot d’injures qui menaçait de surgir hors de ma bouche crispée. J’étais plus intelligente que cela, plus forte. Je le devais.

Je nous le devais.

— On verra ça, ripostai-je. Je connais ma valeur, j’ai du talent, et rien ni personne ne brisera ma motivation, pas même un raciste vicelard comme vous. En revanche si vous avez tant de relations, pourquoi vos locaux sont plus miteux que des chiottes publiques ? Je me suis renseignée sur votre journal. Trois procès pèsent sur vous, deux passages d’huissiers en une semaine, vous avez du retard dans le paiement de vos loyers, ça pue, cher monsieur Peyronnet. Votre journal est en fin de vie, et moi je crois que lorsque j’atteindrai le sommet, vous aurez déjà mis la clé sous la porte. Ce sera alors à mon tour de vous cracher dessus.

Décontenancé par mon monologue maîtrisé, il émit un son étrange, mélange de grognement et de rire.

— Je dois reconnaître que ne manquez pas d’assurance, Weber, admit-il. Mais si vous espérez m’impressionner parce que vous avez mené une amorce d’enquête à mon sujet, vous vous plantez. Vous êtes une sale ambitieuse doublée d’une arrogante bouffie d’ego. Tous les ingrédients d’un foutu paparazzi coureur de dramas. Certainement pas ceux d’une journaliste digne de ce nom. Et surtout, j’ai une ultime question : si vous êtes aussi douée que vous le dites, pourquoi vous trouvez-vous dans les locaux d’un hebdomadaire « en fin de vie » ? Hum ?

Touchée. Coulée. Un point pour le phoque pervers, S.

Lui avouer que je n’avais plus d’autres options pour gagner en expérience n’aurait pu que fragiliser ma cause. Je ne daignai pas répondre à cette attaque et finis par me détourner pour filer vers la sortie. Je lançai un coup d’œil dépité à sa pauvre secrétaire qui évita mon regard en toussotant ; l’unique employée servant, je le supposais, de femme de ménage, correctrice, journaliste, gestionnaire et… plus, même si pas affinités.

Je la plaignais de tout mon cœur. Ou plutôt, non. Après tout, chacun de nous pouvait choisir les directions de son existence. J’aurais pu prendre la voie de la facilité en acceptant de baiser avec ce porc. Le salaire aurait été maigre, le job aléatoire et sans doute voué à l’échec, mais j’aurais pu ajouter une ligne sur mon CV. Une ligne précieuse, vu la rareté des postes et le nombre de concurrents.

Je m’y refusais.

Pas après tant d’années d’études à ramer pour décrocher mon diplôme, pas après avoir été assez forte pour remonter la pente d’un sordide passé. Ce rédacteur en chef représentait tout ce que j’abhorrais en ce monde : un humain avec une once de pouvoir qui adorait écraser autrui de son aura malfaisante. Je valais mieux que lui, mieux que ses manières sordides, et restais persuadée qu’un destin meilleur m’attendait. Je le sentais grâce à un sixième sens et une intuition puissante. Des atouts qui me permettraient de devenir une excellente journaliste, je le savais, y croyais dur comme fer. Il me fallait garder foi en mon avenir.

Un avenir mérité.

Une question de survie.

3

Rencontre avec le diable

 

Sherine

 

Furieuse, je redonnai sa liberté à ma crinière puis accélérai le pas. Des bourrasques fraîches emportaient dans leur sillage les innombrables feuilles mortes. L’hiver frappait à la porte, bientôt l’automne s’effacerait pour laisser place à la froideur de fin d’année. J’aimais cette période où tout trépassait pour mieux revenir à la vie.

Un peu comme Joran et moi, fut un temps. Quand les Weber nous avaient adoptés, nous étions plus morts que vifs.

Les meilleurs souvenirs de mon existence en France se déroulaient à cette époque ; des plaids moelleux qui fleuraient bon la lessive, un feu de cheminée, le chocolat chaud de Ma, nos parties de Scrabble endiablées avec Pa, nos folles descentes en luge avec Joran, Ahmed et Eiji le long des montagnes savoyardes.

La douceur de ces moments avait pansé les plaies purulentes de nos âmes sans pour autant parvenir à les effacer ; plaies que je ne désirais de toute façon pas gommer. Grâce à ces fêlures ancrées en moi, j’étais devenue une femme forte, pugnace, qui savait ce qu’elle voulait, et surtout, ce qu’elle ne voulait pas. Les fêlures permettaient à la lumière de s’infiltrer pour mieux combattre les ténèbres des êtres brisés. Elles étaient nécessaires, vitales.

Fly, la mélodie envoûtante de Ludovico Einaudi retentit depuis la poche de ma veste. Ce compositeur et pianiste italien accompagnait mes plus sombres tourments, l’écouter permettait à mon esprit de s’évader loin des réalités.

Eiji, un de mes plus précieux amis, venait s’enquérir des résultats de mon entretien. J’avais tout sauf envie de discuter, je ne pouvais cependant pas l’ignorer. Ce chieur me le ferait payer pendant des semaines à coups de reproches et de bouderies interminables.

— J’ai giflé mon futur-ex-non-boss, grommelai-je après avoir décroché.

Une exclamation mi-outrée, mi-hilare résonna dans l’appareil. Après un soupir dépité, je levai les yeux au ciel. La pluie s’invitait dans la partie, attisant ma mauvaise humeur.

— Sherine, j’ignore comment tu te débrouilles, mais tu m’épates et me surprends toujours.

— Il me proposait une promotion canapé, rétorquai-je.

— Faux.

J’arquai un sourcil.

— Comment ça « faux » ?

— La sémantique, ma chère. Techniquement, tu ne travaillais pas pour lui, donc tu ne pouvais pas avoir de promotion. Disons qu’il a voulu tester la marchandise avant de signer le contrat.

— Et il se fout de ma gueule, pestai-je en me mettant à courir sous l’averse. Ça n’a rien de drôle.

— Et elle ronchonne.

— Et il me rend folle !

— Je t’aime, Sherine, tu vas y arriver.

Son brusque changement de registre me prit au dépourvu, comme toujours.

— Eiji, tu m’épuises, ton humour est plus que limite, mais merci de ton soutien.

— On se retrouve à la piscine ?

— Pas la motiv’.

Il bougonna une protestation qui m’arracha un sourire sincère. Mon ami aux origines franco-japonaises avait toujours eu un goût prononcé pour tout ce qui tournait autour de l’eau. C’était un véritable poisson, même son nom de famille résonnait à l’unisson avec sa passion. Il maîtrisait autant le surf que la voile, pratiquait la nage à un niveau professionnel, et adorait plus que tout la plongée sous-marine. Ses talents d’apnéiste pouvaient rivaliser avec les plus grands professionnels.

Mes talons claquèrent sur les marches tandis que je m’enfonçais sous terre.

— Je te laisse, j’entre dans le métro, l’informai-je, soulagée de trouver une excuse pour couper court à cet appel.

— C’est ça, lâcheuse ! Ramène tes fesses à la piscine, en plus, j’ai plein de potins croustillants à te raconter.

— On verra.

— Si tu ne viens pas, « je vous chercherai, je vous trouverai et je vous tuerai »[1].

— Moi aussi je t’aime, m’esclaffai-je.

Je raccrochai puis me faufilai dans une rame de la ligne une, assez calme à cette heure. Une fois assise, je tournai mon regard vers l’extérieur après avoir posé un énorme casque audio sur mon crâne, délivrant ainsi un message clair : ne viens pas me faire chier. Aucune musique ne s’invita dans mes oreilles, juste un lourd silence qui m’offrit un agréable tête-à-tête avec moi-même. J’avais besoin de ces moments d’intense calme afin de réguler la tension dans mes nerfs. Sans cela, je devenais fébrile, impulsive, j’agissais avec emportement et perdais même parfois toute rationalité. J’imaginais que ces travers provenaient des déboires de mon enfance, aucun psy n’avait pu guérir mes soucis. Aucun ne le pourrait. Je vivais avec, et, à l’image de mes cicatrices corporelles, ces blessures mentales renforçaient mon bouclier. Mon courage.

Très vite, j’arrivai à ma station de destination. Alors que je quittais mon siège pour rejoindre la sortie, un doigt tapota mon épaule. Je pivotai et tombai sur un monsieur âgé doté d’un sourire doux. Sur sa tête se dressait un chapeau haut de forme on ne peut plus incongru. Ses lèvres s’agitèrent sans que je l’entende à cause de mon casque.

— Pardon ? dis-je en le retirant.

Il me tendit mon sac à main.

— Vous partiez sans, miss.

— Oh bon sang, merci ! m’exclamai-je. Je suis une vraie tête en l’air.

— Avec plaisir, faites attention à vous.

— Vous… également, balbutiai-je.

Son regard profond aussi noir que l’obsidienne se teinta d’amusement et je dus m’obliger à décrocher de ses prunelles pour ne pas louper mon arrêt. En trois bonds, je rejoignis le quai pile avant que les portes ne se referment. Que des personnes bien existent encore réchauffait mon cœur, la bonté de cet inconnu avait apaisé ma colère.

Mus par l’habitude, mes pieds me traînèrent hors des boyaux sombres du métro et je me retrouvai en plein air, frappée par une pluie intense. Frissonnant, je resserrai les pans de ma veste avant d’affronter les bourrasques, le nez baissé.

Après avoir longé l’avenue Ledru-Rollin, je gagnai la rue Traversière. Mon regard s’attarda sur deux silhouettes planquées sous un porche. Mes cils perlés d’eau battirent quand je reconnus Joran. L’homme en face de lui m’était inconnu. Plus grand et charpenté que mon frère, il se tenait droit dans la pénombre. Aucunement dû à la froideur de la météo, un frisson désagréable dévala mon échine. Je m’immobilisai, les yeux plissés. Comme alerté par un sixième sens, l’étranger fit pivoter son visage dans ma direction. Le col de son caban relevé, associé à une lourde capuche, dissimulait une partie de ses traits. Je perçus toutefois l’éclat glacial de ses prunelles. Mon souffle se raccourcit, une sensation de malaise m’envahit. Une peur inexplicable s’invita dans mes veines. Une peur viscérale.

J’ignorais qui était l’interlocuteur de mon frère, mais il n’avait rien d’innocent ou de bon. Une aura sombre flottait autour de lui, une aura poisseuse dont les tentacules frôlaient mon corps pétrifié.

— Tu délires, S, ronchonnai-je, consciente de mon égarement.

Joran avait pas mal d’amis. Certains qui provenaient de notre coin de Haute-Savoie et poursuivaient leurs études à Paris. D’autres qu’il avait rencontrés à la Sorbonne récemment.

Pourquoi me prenais-je ainsi la tête avec ce type ?

Parce que l’horreur de ton passé a développé en toi un instinct quasi surnaturel. Parce que tu sais reconnaître le danger quand tu le croises.

Mon intuition me hurlait de me méfier de cet homme, je sentais lorsque des personnes étaient toxiques ou malfaisantes, en revanche, jamais je n’avais éprouvé un tel sentiment d’urgence.

— Joran ! m’écriai-je avec un signe de la main.

Il sursauta en se tournant dans ma direction. Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’il me reconnut, la gêne s’installa sur son visage. De toute évidence, je le prenais au dépourvu. Il n’avait aucune envie de me voir à cet instant. L’inconnu, poings serrés, mâchoires contractées, ne dissimula pas son animosité à mesure que j’approchais.

Je m’immobilisai près d’eux, à l’abri de la pluie.

— Bonjour ! le saluai-je d’un ton froid.

Ses iris clairs scintillèrent d’un éclat inquiétant qui me fit hésiter. Si je m’étais écoutée, j’aurais effectué un demi-tour rapide et prié pour ne plus jamais croiser le chemin de cet homme. Pourtant, en dépit de la défiance qu’il m’inspirait, je ne parvenais pas à décrocher mes yeux des siens. J’avais l’impression que si je le quittais du regard une seconde, il en profiterait pour m’égorger.

— Sherine, rentre, somma Joran. J’arrive.

Jamais il ne me donnait d’ordre aussi sec, rarement il m’appelait par mon prénom entier. Ces deux détails intensifièrent mon sentiment de malaise.

— Tu ne me présentes pas ? demandai-je.

La haute stature de l’inconnu m’obligea à lever la tête et en dépit de mon mètre soixante-dix, je me sentis minuscule face à ce… prédateur. Je ne trouvais pas d’autre terme approprié.

— Voici ma sœur, ma sœur, voici un ami, énonça Joran d’un ton dur. Et elle rentre. Maintenant.

L’ami en question se tendit. Je me tendis davantage en comprenant que mon frère ne me donnerait pas son nom et m’envoyait tout bonnement paître. Un frisson me secoua, une bourrasque plus forte fit voleter mes cheveux et l’inconnu huma l’air, telle une bête.

Humer mon parfum ? Était-ce normal ?

J’aperçus sa mâchoire qui tressaillait, un trouble évident envahit ses pupilles. Aucun son ne surgit de sa bouche ourlée, la politesse lui semblait étrangère. Ses doigts gantés redressèrent son haut col et après un ultime coup d’œil à mon encontre, il avança droit sur moi. D’un coup d’épaule, il me dégagea de son chemin puis s’éloigna sous la pluie torrentielle d’une démarche féline.

Outrée, je ne parvins pas à émettre la moindre protestation et restai figée à l’observer. Si bien que je lâchai un cri d’épouvante quand Joran me saisit le bras pour m’inciter à bouger.

— À la maison, vite. Tu vas attraper la mort, S.

Incapable d’aligner deux mots, je me laissai traîner jusqu’à notre vieil immeuble. Transie de froid, d’énervement et de peur, je ne pouvais que ressasser les cinq dernières minutes de ma vie. Pourquoi étais-je si mal ? Si perturbée. Joran me délesta de ma veste trempée ainsi que de mon sac à main.

— Vire tes chaussures, la zombie.

J’obéis puis il me conduisit sur le canapé-lit avant de nous préparer un chocolat chaud. Un mug fumant atterrit entre mes paumes gelées et je parvins enfin à sortir de mon mutisme.

— Que… qu’est-ce qu’il s’est passé ? balbutiai-je.

— Rien.

— Pourquoi t’as agi comme un connard ? C’était qui ce mec ?

Les traits de mon cadet se rembrunirent.

— Personne d’intéressant, un pote de la fac.

Je hochai la tête tout en sachant qu’il me mentait. En dépit de mon trouble, je décelais chaque tressaillement de ses lèvres ainsi que son regard qui fixait un point sur ma gauche. Des signes évidents. Je connaissais à la perfection mon frère. Quand bien même je brûlais d’en savoir plus, insister n’aurait servi à rien. Il se serait renfermé pour finir par se cloîtrer dans sa chambre. La communication entre nous n’était plus aussi simple depuis notre emménagement.

J’allais devoir creuser la question et bon sang, je n’en avais aucune envie. Parce que mon instinct me soufflait que rien dans cette histoire ne serait agréable ou positif. A contrario, la flamme de ma curiosité s’agitait dans mes tripes. Mon sixième sens de journaliste reniflait une piste, il me trompait rarement.

Dans quoi Joran s’était-il fourré ?

[1] Réplique du film « Taken » sorti en 2008.

4

Elle allait et venait

 

Scorpio

 

15 novembre 2013, Commanderie parisienne

 

Elle allait et venait, cette obscurité bien nommée.

Elle allait et venait, au creux de mes tripes, de mon cœur, de mon esprit malade.

Elle allait et venait, charriant sa putride infamie. Jamais endormie, toujours en éveil, douce-amère, excitant mes fantasmes, noyant les restes de ma lumière vacillante.

Les vagues de mes ténèbres ne m’offraient aucun répit. Depuis mon Élévation en tant que créature immortelle, je les percevais plus que jamais. Un éternel combat déjà perdu par le passé, qui m’avait englué dans les affres de la vengeance.

En ressentais-je du dégoût ? Absolument aucun, pour la simple et bonne raison que la bête en moi guidait mes instincts.

Ainsi était mon existence, j’avais appris à cohabiter avec ma face sombre. Depuis longtemps, la culpabilité m’était étrangère, tout autant que l’empathie. Ma chère Amelia, ma tendre nourrice m’en avait guéri. Sous ses caresses macabres, le petit ange s’était endormi.

— Scorpio[1], t’es avec nous ? m’invectiva Wolf[2].

J’arquai un sourcil provocateur à l’intention de mon Irlandais préféré, qui me fusilla de son regard aigue-marine. L’inimitié entre nous n’était un secret pour personne. En raison de nos pays d’origine, nous étions génétiquement conçus pour nous haïr. Si je n’avais éprouvé quelques obligations envers le Cercle Écarlate, sa tête aurait déjà quitté son noble corps de brute.

Ou inversement.

Je lui reconnaissais ses talents de guerrier. Cependant sa quarantaine d’années supplémentaire ne constituait pas à mes yeux une raison valable pour m’agenouiller devant lui. Il pensait l’exact contraire, lui le « saint » aux longs crocs.

Mes six frères d’armes pouvaient bien s’amuser à jouer les blanches colombes, ils étaient aussi damnés que moi, à la différence près qu’eux avaient trouvé leur Lueur ; cet éclat divin contenu dans un objet qui modérait le Mal en chaque Aeternus. Sans lui, une même démence flottait dans leurs entrailles purulentes. Notre moitié démoniaque pesait lourd dans la balance. Et ce, sans parler de nos passés respectifs. Comme le disait notre Grand-Maître Draco, les plus grands héros naissaient dans les épreuves.

À cela j’ajoutais : les plus féroces assassins également.

Une contre-vérité mal acceptée. En effet, je demeurais l’un des seuls à me l’avouer, à l’assumer sans ciller. Quand bien même Aquilae[3] et Squale[4] me ressemblaient sur certains points, ils restaient tout de même pétris d’une certaine moralité dont je ne m’embarrassais plus. Plus depuis ce jour funeste de ma mort.

Celui de ma renaissance.

Amelia Dyer avait su prendre grand soin de mon âme d’enfant en la délestant de son humanité. Depuis longtemps, je m’étais résigné à ne pas trouver ma Lueur.

— Tu ne me fais pas même l’honneur d’une réponse ? insista le rouquin aux allures de héros de série américaine.

Wolf et moi étions l’exact opposé tant sur le plan physique que sur le plan mental. Ma peau arborait des nuances dorées, la sienne était pâle comme la neige et parsemée de taches de son. Sa mâchoire virile recouverte d’une courte barbe lui donnait l’air d’un bûcheron. Mes traits racés et anguleux faisaient de moi une espèce bien différente. Il était aussi rude, direct et sans manières que j’étais discret, malin et élégant. Là où il usait de langage grossier, je choisissais la délicatesse de paroles empoisonnées. Tout comme Ursa[5] notre Écossais, professionnel du mutisme, il représentait une force de la nature impressionnante, je ne pouvais le nier, néanmoins la finesse lui était inconnue.

Tout ce que j’exécrais.

Un sourire caustique creusa mon atypique fossette à la joue gauche, triste héritage d’Amelia.

— Cette attitude ne te conduira nulle part, Scorpio, râla mon meilleur ennemi. Tu sais comment ça a fini, tu sais…

— N’est-ce pas l’heure de la prière plutôt que de l’insipide discours moralisateur ? le coupai-je en me relevant.

Son ego esquinté, Wolf resta bouche bée de colère. Mes cinq autres frères se contentèrent de me scruter avec des mines indéchiffrables. Nul besoin de mots, je n’étais pas le plus apprécié de cette Commanderie, cela ne m’importait guère. Nous n’étions pas là pour nous aimer, la seule idée de penser à ce terme me provoquait par ailleurs des frémissements nauséeux. Nous étions là pour accomplir une mission, un devoir sacré. Quand bien même je les insupportais au quotidien, la confiance qui nous liait en tant que frères guerriers restait inébranlable. En dignes descendants du Temple, rien ne pouvait fragiliser le Cercle.

Rien ne le devait.

La table ronde en chêne utilisée pour nos réunions avait pour vocation d’offrir l’équité à ses occupants. Du moins, une impression d’équité. L’ordre hiérarchique régissait le fonctionnement depuis la nuit des temps et, en petit dernier de la bande, je n’avais théoriquement qu’à me taire.

Théoriquement.

Si j’affectionnais le silence, mes interventions provoquaient toutefois des disputes régulières. Mettre les pieds dans le plat là où mes frères évitaient de le faire avec soin me passionnait. En outre, je m’ennuyais vite. Leurs bavardages sans fin à propos de notre futur me fatiguaient. Je soutenais l’action, pas leurs interminables soliloques dénués d’utilité.

Venom, notre Commandeur aux airs de Viking, leva une paume afin que je me rassoie.

— Scorpio, Wolf, nous devons discuter des Weber, vos éternelles disputes ne nous aideront pas, déclara-t-il, passant ses doigts puissants dans ses longs cheveux cendrés. Les jours défilent, nous sommes sur la corde raide. N’oubliez pas qu’ils sont la douzième génération, que l’avenir s’annonce incertain.

J’obtempérai, non sans lâcher un soupir discret. Désobéir à notre supérieur ne m’apporterait que des ennuis. Venom dirigeait la Commanderie parisienne depuis des siècles, nul ne pouvait défier son autorité même si nous étions tous… égaux. À 683 ans, il était le premier Aeternus créé par le Grand-Maître, de fait nous le respections.

— Draco a-t-il communiqué à ce propos ? s’enquit Phoenix, notre redoutable Britannique aux manières élégantes.

— Pour le moment, non, l’informa Venom.

— Elle, on la tue, lui, on continue comme prévu en l’intégrant parmi nous, et on le force à procréer. Puis on le tue s’il nous emmerde, énonçai-je avec assurance. C’est notre devoir. Après la douzième, il y aura la treizième puis la quatorzième génération, je ne crois pas que cela changera l’ordre des choses.

— Ce que tu crois ne compte pas, seuls les faits importent ! s’énerva Wolf.

— Je suis d’accord avec Scorpio sur un point, intervint Squale. Sherine va devenir trop curieuse, on doit l’éliminer. Quant au futur, seul Dieu sait ce qui arrivera, c’est la seule chose évidente.

Je renchéris avec véhémence :

— Cette fille ne sera de toute façon pas une grande perte. Agaçante à souhait, modelée par cette détestable société moderne, une arrogante qui ne manquera pas de mettre son nez de fouine partout.

Des murmures outrés s’élevèrent.

— Nul besoin de nous rappeler ta misanthropie, Scorpio, nous la connaissons à merveille, me rabroua rudement Wolf. Si elle ne t’avait pas croisé à cause de ton imprudence, nous n’en serions pas là.

— Cela devait finir par arriver avec leur emménagement à Paris, elle est surprotectrice, contra Aquilae, notre Maréchal, bras droit de Venom et second de la Commanderie. Je suis d’accord pour nous débarrasser d’elle, mais il nous faudra attendre l’ordre de mission officiel, sauf urgence, bien sûr.

— Créons cette urgence, suggérai-je avec un air angélique.

Ils me fusillèrent tous du regard sauf Squale qui s’esclaffa avec discrétion. Les provoquer m’était délicieusement jouissif. Cela dit, je pensais chaque mot prononcé. Au moins, je ne faisais pas de différence entre hommes et femmes, je pouvais tuer n’importe qui sans éprouver la moindre pitié.

De bien belles valeurs, n’est-ce pas, au temps de l’égalité des sexes ?

— Et ce, avant que d’autres troupes débarquent, poursuivis-je. Je vous rappelle que nous sommes la Commanderie parisienne, les gardiens de la malédiction originelle. Si nous ne nous montrons pas à la hauteur, nous risquons gros. Sherine Weber n’est qu’un grain de sable dans l’engrenage, rien ne sert de patienter.

— Elle a dans ses veines le sang de la famille de Molay, tout comme son frère, contesta Aquilae. Rien que pour ça, nous lui devons un peu de respect. Sans lui, nous n’existerions pas.

— Cela ne constitue pas à mes yeux un argument valable pour se compliquer la vie. Nous avons bien assez de responsabilités, notre temps est précieux. Un héritier de Molay en vie suffit pour protéger la malédiction, et seuls les mâles sont aptes à léguer ce pouvoir. Protégeons Joran. Éliminons sa sœur.

M’embarrasser de détails moraux n’était pas dans mes habitudes. Mes frères ne voyaient pas plus loin que le bout de leur lame. Parfois ils manquaient de jugeote, de clairvoyance. Je ne connaissais pas grand-chose de leur passé ou de leur véritable identité. Toutefois, aucun d’eux n’avait autant foulé le sol putride des enfers que moi. De ce fait, ils ne pouvaient posséder une telle clairvoyance dans leurs pensées. Je ne leur en tenais pas rigueur, pas tant qu’ils ne se dressaient pas sur mon chemin.

Si nul ne naissait mauvais, nul ne naissait en héros.

Nous le devenions par les chaos d’une existence imposée, et s’ils n’étaient pas assez violents, il n’en résultait alors qu’un être en demi-teinte. Médiocre.

— Du calme, ordonna Venom face à l’agitation croissante nourrie par mes déclarations. Remettons cette conversation à demain.

— Faisons donc ça, grommela Wolf avant de m’adresser un coup d’œil sombre.

Le reste des troupes garda le silence. Squale laissa échapper un ricanement avant de se lever pour prendre la direction de la salle de repentir. Il m’offrit une tape amicale sur l’épaule au passage. Étonnamment, cette grande gueule aux racines asiatiques n’avait pas profité de l’occasion pour alimenter le conflit. Du haut de ses 327 ans, il n’en était pas moins le gai luron de la bande. Taquin, provocateur, doté d’un délectable humour noir, je l’appréciais. Sa lumière fictive dissimulait une sombreur qui faisait écho à la mienne. Nous étions les deux seuls assassins à accepter les missions concernant de jeunes mineurs.

Encore une particularité héritée de cette brave Amelia Dyer.

Quant à Squale, j’ignorais d’où lui venait cette absence d’empathie. Absence d’empathie qui ne s’appliquait étrangement pas à l’espèce animale. Végétarien jusqu’au bout des griffes, il luttait pour leur cause et refusait de toucher le moindre poil d’un chien ou la moindre plume d’un oiseau. En revanche, s’abreuver à une veine humaine ne le dérangeait pas. Une part de démence propre à lui en totale opposition avec notre nature profonde. Nous en avions tous une plus ou moins importante. Plus ou moins cohérente.

Comme chaque jour, à l’aube, lorsque la nuit tirait sa révérence pour laisser place à la lumière, nous nous rendions en salle de repentir. En ce lieu ancestral, nous lavions nos péchés dans le sang, tout du moins, nous nous en donnions l’illusion.

Empreint de solennité, j’entrai à la suite de mes frères. Nos lèvres habituées ânonnaient des prières tandis que nous nous installions en cercle autour d’un bénitier en pierre brute. Nulle eau n’en couvrait le fond.

Autour de nous s’élevaient les innombrables empilements d’os humains. Une décoration ordinaire dans les catacombes, même si celles où nous résidions n’étaient ni connues ni accessibles du grand public. Par ailleurs, le peu de curieux qui s’y était aventuré n’en était jamais ressorti. En dehors des Templiers et de quelques puissants, personne ne se doutait de ce que dissimulaient Paris ou d’autres métropoles dans leurs sous-sols.

Nous tendîmes nos bras gauches, paumes tournées vers le ciel.

— Seigneur, lave-nous de nos pensées et de nos actes impurs, car c’est en ton nom que nous agissons, récita Venom.

Aquilae[6], notre Maréchal aux épaisses mèches brunes, entonna ensuite :

— Fils du Temple, fils de Dieu, à jamais guerriers. Nous les éternels, les Élevés revenus d’entre les morts. Nous, les Sauveurs. Les Aeternus.

De concert, nous tranchâmes la peau fine de nos poignets à l’aide de notre Griffe ; un bijou acéré que nous portions tous à l’index droit. Nos sangs se mêlèrent dans la vasque, noircissant la roche.

Puis d’une seule voix, nous entonnâmes :

— Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tu da gloriam.

Je n’avais jamais vraiment accepté cette phrase pourtant répétée chaque jour que Dieu nous offrait. Elle ne me semblait pas juste. J’agissais au nom de notre Seigneur, certes, mais pas uniquement. La vengeance avait d’abord guidé mes actes, très vite le plaisir avait pris la relève jusqu’à devenir une drogue. J’avais perdu pied, noyé dans des ténèbres omniprésentes, des ténèbres dans lesquelles j’adorais toujours autant me vautrer en l’absence de Lueur. Le Cercle Écarlate, ou plutôt Draco le Grand-Maître des assassins, m’avaient rattrapé, donné une seconde chance, mais pas guéri. Je me contentais de garder un certain contrôle tout en étant conscient que je pouvais déraper chaque instant.

Comme mes frères, j’enroulai ma main ensanglantée sur la croix rouge des templiers que nous portions autour du cou, embrassai le bijou les yeux fermés. Puis sans un mot, nous nous séparâmes pour vaquer à nos occupations et prendre du repos durant la journée.

La nuit était notre royaume, à nous, les assassins immortels.

[1] Trad : scorpion en latin

[2] Trad : loup en anglais

[3] Trad : aigle en latin

[4] Trad : requin en anglais

[5] Trad : inspiré de ursus, ours en latin

[6]  Trad : inspiré de aquila, aigle en latin