« L’amour est la meilleure musique sur la partition de la vie.

Sans lui, on n’est qu’un éternel désaccord dans l’immense chœur de l’humanité. »

Roque Schneider


 

1

Aline

 

Londres, Angleterre


 

Un, deux, trois, quatre… et cinq. Puis le dernier !

Je suis rassurée, rien de plus glorieux qu’avec moi. Mon parfait fiancé, Adrian, n’a jamais été un champion en ce qui concerne la baise et son nombre de coups de reins demeure au niveau moyen exécrable. En état de choc, les doigts crispés dans mes mèches brunes, je l’observe, son sexe enfoncé dans celle que je suppose être son assistante, occupé à jouir en lâchant son éternel petit couinement. Couinement qui, jusqu’à présent, m’apparaissait comme ridicule, mais tellement mignon.

Twister, mon bouvier bernois de cinquante kilos me pousse du nez au creux du genou, ne comprenant certainement rien à la situation. Grand bien lui fasse, il n’a pas ce genre de détail à se soucier, lui.

Après tout… la fidélité, c’est surfait, non ?

Non ! Pas chez moi, pas dans mon lit, pas avec celui à qui je dois dire oui pour la vie dans deux mois. La première remarque qui me vient à l’esprit est que je vais devoir très vite passer à la machine mes draps pour les purifier des fluides corporels de cette charmante étrangère. La seconde… que je vais les tuer tous les deux !

J’attrape sans réfléchir l’ustensile qui traîne à porter de main, à savoir un de mes jouets sexuels en forme de canard. Fort utile quand monsieur a du mal à m’embarquer dans les étoiles. C’est-à-dire… tout le temps. Eh oui, le rangement est également surfait dans cet appart !

— Merde, Adrian ! s’exclame l’autre pétasse après m’avoir enfin découverte.

Inconscient de ma présence, il se contente de ronronner au creux de son cou comme il le fait souvent avec moi. La goutte de trop. Dans un cri, j’atterris sur le dos de mon ex-futur mari, puis frappe son crâne recouvert d’une épaisse toison brune à l’aide de mon vibro. Les dents serrées, je perds totalement le contrôle et me transforme en furie.

Comment un homme aussi lisse et adorable peut-il me trahir ainsi ?

Si je l’ai choisi en dépit de son côté trop posé, si je lui ai permis d’entrer dans mon existence, c’est bien parce que je me pensais en sécurité ! Ma vie amoureuse se résume vite : à 28 ans, j’ai vu défiler peu de mecs, trois qui m’ont trompée… quatre, maintenant, aucun que j’ai aimé. Rien de plus.

Je suis tellement sonnée par cette vision que j’ai la sensation de flotter au-dessus de mon corps, d’observer une démente tenter d’assassiner des humains à coups de canard vibrant. La scène est absolument ridicule, d’autant plus qu’ils sont nus. On se rapproche presque d’une improbable orgie sadomasochiste version mauvais porno des années quatre-vingt.

— Comment. T’as. Pu ? Enfoiré ! articulé-je.

Et comble du grotesque, le canard émet un « pouet » à chaque nouveau coup assené. Twister, pensant à un jeu, en redemande et aboie avec force alors que la rage m’aveugle. Nous roulons sur le matelas, moi, accrochée telle une moule à son rocher au dos de mon amant infidèle, tandis que la grognasse pousse des cris outragés et que le chien bondit autour de nous.

— Je te croyais mou du bulbe et incapable de me tromper ! craché-je en mode Exorciste. Mais quel genre de fille peut avoir envie de se faire sauter en vingt secondes ! Merde ! Putain ! Chiotte ! Il n’est même pas friqué !

Ma cible évolue et je rampe alors vers la blondasse éthérée qui continue de hurler comme une truie qu’on égorge.

— Tiens, avale ça ! Bien plus efficace pour jouir, Barbie discount !

Je balance mon canard dans sa tronche défigurée par la frayeur avant de lui grimper dessus pour tenter d’enfoncer mon poing entre ses lèvres gonflées au botox. Hélas, Adrian m’attrape par la taille, et j’entame un beau vol plané à travers la pièce.

Mou, mais costaud, mon fiancé.

L’atterrissage s’avère brutal, mon front frappe le mur fraîchement rénové. Un sentiment incongru de nostalgie m’envahit en même temps que la langue baveuse de mon chien explore mon visage. Je venais tout juste de refaire ce pan… je l’aime tellement, cette couleur mimosa.

— Pourquoi tu m’as laissée peindre ce mur ? fulminé-je, les dents serrées en portant une main à mon crâne douloureux et repoussant Twister de l’autre.

Le couple, toujours en tenue d’Ève et Adam, me scrute sans plus bouger. La nana tremble de tout son corps et s’accroche avec désespoir à Adrian. Quant à lui, son expression passe par divers stades ; surprise, honte, peur, énervement.

— Je… comprends pas, marmonne-t-il.

— T’as osé me tromper devant mon mur !

— Aline, ce n’est pas…

— Ce que je crois ? complété-je, hystérique. Tu vas pas me sortir cette phrase bateau ? Un peu de fierté, merde ! Je l’aimais tellement ce mur.

La blondasse se penche à son oreille pour murmurer :

— C’est quoi son problème avec le mur ? Elle est flippante, bébé. C’est qui cette foldingue ?

– Bébé ! Tu… tu te fais choper au lit par la fiancée du mec que tu baises, et t’oses l’appeler « bébé » ? Tu veux un dessin, connasse ? m’étranglé-je, ahurie par sa débilité profonde. Et ne parle pas de mon mur avec les pneus qui te servent de bouche à pipe !

Le visage peinturluré de la bimbo blêmit avant de se tendre dans une grimace horrifiée quand elle réalise qui je suis. Miss Putasse est intelligente, mais il faut lui expliquer longtemps. J’ai presque peur de voir son unique neurone prendre feu.

Adrian l’écarte soudain d’une main ferme et se relève, son engin se baladant librement sous mon regard courroucé de droite à gauche. La vision d’une paire de ciseaux s’impose à moi.

Oh, oui… je crève d’envie de te couper ton minuscule bout de saucisse, mon cher et tendre Adrian !

— Mon amour, je vais t’expliquer, c’est un simple quiproquo, tente-t-il de sa voix si calme en s’accroupissant.

— Quiproquo ? nous exclamons-nous de concert, la pute et moi.

Je pointe du doigt ma concurrente en sifflant :

— T’avais bien ta Knacki Ball plantée dans cette chose immonde et suintante ?

— Je… oui, mais non, articule-t-il alors que Barbie lâche un cri offusqué.

— Je l’ai vu, Adrian ! Je t’ai même entendu couiner ! Tu sais, ce ridicule bruit de gorge que tu fais après tes trois coups de boutoir quand tu te vides ! Sans capote en plus !

J’avise la blonde et ajoute :

— Si tu cherches à prendre ton pied, next. Si tu cherches du fric, next aussi. T’aurais dû me baiser moi plutôt que ce légume rabougri ! J’aurais au moins pu trouver ton clito ! Parce que ce poulpe, même avec un cunni, il va te faire défiler l’alphabet en entier sans pour autant le découvrir ! Oh… et je te souhaite de choper toutes les MST du monde, pétasse !

— Mon amour, ne dis pas des choses que tu regretteras, intervient le truc qui me servait de fiancé. On se marie bientôt, je te rappelle. J’ai juste profité d’une dernière liberté.

Je suis tellement stupéfaite par son argument que ma rage fond comme neige au soleil, remplacée par une résignation teintée de froide ironie. Je prends même le temps de lisser mon carré et ma frange, après avoir rajusté ma robe estivale.

Définitivement, Adrian ne mérite pas que je me rende malade pour lui. Et de toute façon, je ne l’ai jamais vraiment aimé. Il vient de détruire l’unique raison pour laquelle je m’accrochais à notre histoire : la confiance qu’il m’inspirait.

La blonde approche et lui envoie un coup de poing si fort que je suis presque sûre de voir une dent sauter. Sa poitrine, refaite elle aussi, tressaute au rythme de ses pas furieux tandis qu’elle ramasse ses fringues et le peu de dignité qu’il lui reste pour se barrer. La porte de l’appartement claque. Je lâche un ricanement satisfait. Adrian, prenant ce semblant de rictus comme un encouragement, pose une paume sur mon épaule. Je la repousse d’une tape avec un regard assassin puis somme :

— Retouche-moi encore une fois et le canard va filer faire une déclaration d’amour à ton anus ! Casse-toi, cours rejoindre ton bout de plastique !

— Non, on doit parler, ne réagis pas comme une enfant.

— Très bien.

Je sors de la chambre, mon ex à poil tout mielleux sur les talons. D’une main leste, j’attrape le premier vase que je trouve pour le lui balancer en pleine figure. Il l’esquive. Mon arme improvisée se brise en mille morceaux dans un fracas épouvantable. Ignorant ses suppliques, je continue mon manège et saisis sa précieuse PlayStation qu’il idolâtre. Twister lâche un jappement réprobateur.

— Non, non, pas ça, mon amour…

– Mon amour ? Tu sais ce qu’elle te dit, ton amour ? Mange-le donc mon amour !

Je jette la console sans pitié et il la réceptionne tant bien que mal sur son estomac. Des coups secs frappés à notre porte d’entrée retentissent. Mon chien recommence à aboyer.

Si c’est cette pute, je ne réponds plus de rien !

J’empoigne la barre de son de la télé, arrache les fils puis fonce sur le palier. Quand je fais pivoter le battant, je la balance avec force sous les cris affligés d’Adrian. Hélas, en lieu et place de Barbie se trouvent deux flics en uniforme qui se prennent de plein fouet mon arme improvisée suivie d’une joyeuse boule de poils de cinquante kilos avec dans la gueule un canard jaune vibrant tant et plus. Mon cœur cesse de fonctionner un instant avant de repartir dans un galop effréné.

Et merde… voici une bien belle journée pourrie, Aline !

2

Aline

 

— Mademoiselle Garnier ! tonne la femme flic avec un regard venimeux à mon encontre.

Mes mèches brunes ébouriffées, je me relève dans un sursaut, le cœur battant d’un nouvel espoir. J’ai passé d’interminables heures dans cette minuscule pièce au poste de la Met – Metropolitan Police Service —, je suis au bord de l’apoplexie. Épuisée et à bout de nerfs.

OK, j’ai déconné en insultant la police après leur avoir balancé l’enceinte. Néanmoins, j’ai des circonstances atténuantes. Je venais de surprendre mon futur époux en plein exercice lubrique avec une autre que moi. Je suis toutefois consciente que l’œil au beurre noir de la représentante de l’ordre risque de me coûter cher. La barre était plus solide que prévu et elle n’a guère apprécié l’accueil chaleureux de Twister et du canard. Et je ne parle pas d’Adrian à poil tentant de les convaincre que tout allait bien dans le meilleur des mondes, alors qu’un voisin les avait appelés en entendant nos cris.

Elle me toise de bas en haut avant de faire coulisser la grille :

— Suivez-moi.

— Pourquoi ? protesté-je dans un élan désespéré. J’ai déjà tout expliqué et réexpliqué ! J’en peux plus !

— Dépêchez-vous ou je referme ! somme-t-elle, aussi froide que l’Arctique.

Je la dépasse, le nez baissé, honteuse de mon attitude à son égard. Je ne suis pas de nature violente, mais Adrian a été trop loin et j’ai bien peur que mon cerveau ait disjoncté. Un court instant. Mais assez long pour me foutre dans une belle merde.

— Je suis vraiment désolée, tenté-je d’une petite voix en lissant ma frange du plat de la main. Je ne l’aurais pas castré ou tué… ni vous d’ailleurs, navrée, je… ne suis pas une meurtrière… Un peu de fond de teint et hop, votre visage sera comme neuf !

— Avancez !

Son regard assassin m’indique qu’elle n’est pas prête à me pardonner. Je soupire puis emprunte le corridor sombre, le pas traînant. Elle me conduit jusqu’à l’entrée où j’aperçois mon amie Hannah, avocate de son état.

— Tu es là, ma Nana ! m’écrié-je, envahie d’un immense soulagement.

Toute pomponnée comme d’habitude, elle m’envoie un demi-sourire en remettant sa longue chevelure châtain en place. Hannah est le clone officiel de Jessica Alba, la classe incarnée en plus d’être intelligente. Elle porte l’un de ses tailleurs sombres qui subliment sa silhouette longiligne et, bien sûr, les mâles à moins de cinq mètres bavent sur elle. À mon grand dépit, je fais la même taille qu’elle, mais je suis bien plus plantureuse avec mon derrière de Brésilienne et mon 95 D. Et que dire de mon allure à cet instant… ? Un épouvantail à côté d’Aphrodite en personne.

Néanmoins, aucun homme n’a la moindre chance avec elle, parce qu’en plus d’être magnifique et érudite, Hannah est mariée à un magnat des affaires affreusement riche. Souvent absent pour son travail, il l’aime comme un fou et la distance ne les dérange pas le moins du monde. Ils cultivent leur indépendance autant que leur passion et sont sur la même longueur d’onde autant au niveau professionnel que privé. Une histoire rêvée…

Je soupire. Parfois, je suis à deux doigts de la jalouser. Vraiment… à peine deux petits doigts.

Voir un visage amical à cet instant est encore meilleur que de m’empiffrer de Nutella ! J’oublie mes apitoiements et cours jusqu’à elle pour lui sauter dans les bras. Elle me repousse d’une main ferme, le nez plissé :

— Oh, bon sang, Aline, tu sens mauvais !

— Je… Disons que ça fait un petit bout de temps que je traîne dans cette cellule et je me suis un peu… agitée. Tu vas me sortir de là ? J’ai passé des heures à répondre à leurs questions !

Elle m’offre une moue réprobatrice, sourcils froncés.

— Tu vas devoir m’expliquer, mais oui, tu es relâchée sous caution avec obligation de te présenter au poste la semaine prochaine. Je vais devoir négocier sec…

Elle baisse la voix et ajoute :

— Les flics sont vraiment remontés contre vous deux ! Enfin… surtout toi. Ils m’ont dit que tu as passé ton temps à hurler et proférer des menaces.

— Moi ? explosé-je soudain. Mais c’est la faute à l’autre enfoiré !

— Ne crie pas et ne parle pas d’Adrian comme ça ! On n’a pas besoin d’un nouveau scandale. Les flics ont été plutôt cool pour le coup, tout ça aurait pu se terminer avec une plainte et une comparution immédiate devant un magistrat ! J’adore ta spontanéité, mais là… stop. Allons boire un café, tu vas m’expliquer. Mais d’abord, une douche.

Je hausse les épaules et retiens une vague de haine en lâchant, faussement désinvolte :

— Mon cher fiancé est plasticophile.

— Je n’ai pas compris, précise.

— Une putain de Barbie ! indiqué-je un peu fort. Dès que je sors de ce trou pourri, je file m’acheter un chat de vieille fille !

Je lève une paume contrite en direction de la fliquette qui n’attend clairement qu’une chose : me recoller derrière les barreaux. La vulgarité agressive ne me sied pas au teint.

— Aline, je ne comprends toujours pas grand-chose.

— Si tout est OK. Allons-y ! éludé-je alors en tirant mon amie par le bras. Je me suis assez donnée en spectacle pour une vie entière et si je te raconte ici, ma nouvelle copine va s’empresser de m’enfermer de nouveau parce que je te jure que je vais péter un câble.

La fatigue se rappelle à moi. J’ai la sensation de peser une tonne et d’avoir pris trente ans dans la nuit. Nous sortons. J’inspire à fond, visage levé vers le ciel chargé de lourds nuages. Une bonne odeur de terre humide mêlée à celle de saucisses grillées envahit mon nez et calme mes nerfs tendus.

Bon sang que c’est agréable, après des heures enfermée dans une cellule moisie !

Le hurlement d’un klaxon furieux retentit. Un rideau d’eau boueuse s’abat sur moi alors qu’une voiture passe dans une flaque en frôlant le trottoir sur lequel je me trouve. Je pousse un cri aigu avant de reculer d’un pas, refusant de croire à cette satanée malchance qui me colle à la peau. Hannah a échappé de peu à cette douche improvisée, preuve que le destin s’acharne sur moi.

Me voici puante et dégoulinante.

— T’as vraiment la poisse ! constate-t-elle, les joues pincées pour retenir un rire.

— Quel chauffard ! Je te jure… j’en peux plus.

— J’avoue que tu fais fort, ma puce.

Elle me tend un plaid déniché dans le coffre de son Range Rover rutilant. Nous nous installons en silence. Comme toujours, mon amie affiche un calme olympien et une discrétion étonnante. Si les rôles étaient inversés, je l’aurais bombardée de questions.

J’allume le miroir du pare-soleil et pousse un gémissement à la vue de mes traits blafards. Mes iris azur ont perdu tout éclat, mes cheveux coupés au carré luisent de gras. Je ressemble à un spectre, un zombie, un mort-vivant tout droit sorti d’un film de Romero.

— Je crois bien que même mes taches de rousseur se sont fait la malle ! râlé-je en tapotant mes joues. Elles ont préféré fuir ma guigne.

— Arrête, Aline, tu n’es pas si… bref, ça va, tente Hannah sans conviction.

Je me renifle un court instant puis lâche un grondement ironique.

— Ouais ! Mes aisselles qui fleurent la rose des égouts approuvent. Je suis belle, je sens bon, ma vie ne vient pas de voler en éclats, et je ne me suis pas foutue dans un gros pétrin.

— OK. Tu pues, t’as la mine d’un cadavre et l’odeur aussi. En plus, tu es clairement dans la merde. Contente ?

— Parfait, l’honnêteté est la base de toute relation. Adrian ne semble pas l’avoir capté.

Les doigts d’Hannah glissent sur les miens pour les presser, m’offrant un réconfort bienvenu. Je laisse enfin libre cours à mes larmes. Mes iris sont demeurés aussi secs que le Sahara depuis la veille, j’ai besoin d’évacuer.

Je suis célibataire, SDF, à deux doigts d’être inculpée pour coups et blessures sur agents en service. Mon existence rangée vient d’exploser, je suis perdue. Me voici revenue au départ après être passé par la case prison. Monopoly version Aline la Poisse.

Mon déménagement à Londres après mon exil de France me promettait un avenir calme, cousu de fil blanc. Chose dont j’avais besoin après des années de galères financières et amoureuses. Mais non, il a fallu que je tombe sur un enfoiré planqué sous un masque de mec gentil. Je pensais que son absence d’abdominaux m’assurerait sa fidélité, tout comme ses exploits sexuels plus que moyens.

Plantage total, ma fille !

— J’ai un méchant karma ! grommelé-je en couvrant mes joues trempées de mes paumes. J’ai dû sacrément déconner dans ma vie antérieure.

— Mais non.

— Tu sais même pas ce qui m’est arrivé.

— Tu vas m’expliquer, répond-elle avec douceur, ignorant ma pique.

Je la dévisage avec un reniflement, à nouveau admirative de sa capacité à patienter pour ne pas me bousculer.

— C’est Adrian, je l’ai surpris en train de me tromper, avoué-je alors, la gorge serrée. C’est dans la continuité logique de mon existence…

Les yeux noisette d’Hannah s’écarquillent de stupeur :

— Il t’a vraiment trompée ? Adrian ? Ton Adrian ? Ton doudou tout mignon ?

L’entendre prononcer ces propos si crûment provoque une nouvelle salve de sanglots désordonnés. Je pleure rarement et quand ça m’arrive, je n’ai rien d’aussi classe que les nanas dans les films. Non. Moi, je me rapproche d’une éponge en fin de vie, pif gonflé dégoulinant de morve, yeux rouges et bouffis, lèvres tordues me faisant ressembler à un pauvre smiley. Bref, une vision d’horreur que personne n’a envie de supporter.

Hannah se gare soudain dans un renfoncement, tire le frein à main, puis ouvre ses bras. Je me jette contre elle, acceptant son étreinte sans plus réfléchir.

— De toute évidence, il ne te méritait pas et il valait mieux que tu découvres sa véritable nature avant le mariage.

— Oh, mon Dieu ! ahané-je, bouleversée. Le mariage ! Mais comment je vais faire ? On a tout réservé et versé les acomptes. Les invitations sont envoyées ! Je veux mourir !

Ses doigts glissent dans mes mèches et s’y entortillent avec tendresse.

— Je t’aiderai.

— Non, Nana, je sais que j’suis pas fortunée, mais je me débrouillerai, j’ai un peu de sous de côté.

— Je ne te laisse pas le choix, me coupe-t-elle avec fermeté. Et tu vas rebondir, je n’ai aucun doute ! Ta capacité à rêver est juste incroyable, ma puce. Tu es mon phare dans la nuit, alors, je t’interdis de t’éteindre pour un mec.

Nos regards s’accrochent et un pauvre sourire étire mes lèvres.

— Je vais rebondir sur mon gros popotin ?

— Voilà ! s’esclaffe-t-elle avant de planter un bisou sur mon front. Et tu vas même voler si loin que tu atterriras dans les étoiles !

— Et si je me loupe, je retomberai sur la Lune.

3

Gabriel

 

Crafers, Australie

 


 

Après le passage du livreur, je remonte à toute vitesse la volée de marches en pierre menant à ma maison sur pilotis. Colis sous le bras, torse et pieds nus, mes cheveux bruns en bataille, vêtu simplement d’un jean clair, je m’installe à une table sous ma pergola afin de déballer les cordes de guitare que j’attendais avec impatience. Je vais enfin pouvoir redonner un coup de neuf à ma petite femme, entendez par là… ma précieuse Ibanez.

Dans cet endroit isolé, il ne faut jamais être pressé de recevoir du courrier ou même espérer un réseau stable.

Et je le vis bien.

Je n’ai jamais été si cool que depuis que j’ai emménagé dans ce patelin reculé, situé à vingt-cinq minutes à l’est d’Adélaïde. J’ai volontairement choisi un coin éloigné du bourg, perdu au cœur de la forêt. Autant dire que les visites sont rares et ça me convient.

Depuis tout jeune, un mal-être invisible me ronge insidieusement. Je me suis toujours senti à part de cette société qu’on m’impose, incapable de m’y intégrer. Et pour cause, je suis atteint d’une forme modérée d’agoraphobie associée à une forte asociabilité et une hypersensibilité qui me pourrit la vie depuis mon enfance. Celle de mes proches également. Aussi, il était hors de question que je m’installe sur les côtes où la vision des touristes m’insupporte. Encore moins en centre-ville au milieu de quantité d’êtres humains. Après des années à sillonner le monde en solitaire, je n’avais qu’une idée fixe : me poser en Australie, le point le plus éloigné de ma région natale.

Je n’ai aucun regret.

Depuis que j’ai quitté la France, je me sens plus léger, en accord avec moi-même. À bientôt 29 ans, j’évolue dans une sorte d’existence à double sens, à la fois réglée comme du papier à musique dans mon quotidien, mais aussi sans aucun plan futur. Je prends les événements tels qu’ils viennent, les analyse et avise.

Dans ma vie amoureuse, je choisis qui je côtoie, quand et où. Les femmes, je les respecte, mais je ne supporte pas l’engagement. Loin d’être un collectionneur depuis mon passage à l’âge de raison, je me contente d’une compagne sur un terme plus ou moins long. Aucune promesse, juste quelques bons moments et beaucoup de sexe. À chaque histoire, le même schéma se répète. Une demoiselle débarque dans mon existence, fascinée par mon côté mystérieux et atypique. Elle accepte mon mode de vie et ma révulsion envers un quelconque engagement, puis finit par disparaître quand elle se lasse de mes tares et ne parvient pas à me modeler à son image. Je n’en ai retenu aucune, je n’en ai aimé aucune.

C’est un cycle sans fin, répétitif, je m’y suis fait. Le destin m’a façonné ainsi et je suis conscient qu’une nana normalement constituée ne se résignera pas à supporter un mec comme moi sur de longues années. Je refuse d’avoir des enfants ou d’envisager un mariage. Mes principes me l’interdisent. Depuis mes 20 ans, je ne sors plus, évite la foule, je rejette tout véritable lien d’amitié. Autant dire qu’il faut aimer le calme et la solitude à mes côtés.

Je n’ai pas toujours été comme ça. Adolescent, je me suis échiné à ressembler aux autres. Le résultat n’a pas été fameux. La violence et l’autodestruction me consumaient. J’affichais une arrogance sans limites et provoquais sans cesse ma famille pour dissimuler mes maux. Famille un tant soit peu étrange, mais — je le réalise maintenant — aimante et généreuse. Ma mère, abandonnée par mon père à ma naissance, m’a élevée longtemps seule avant de se mettre en couple avec Josie, sa meilleure amie, une femme douce et qui a su lui offrir une belle vie. Très vite déscolarisé, je me suis rabattu sur la musique pour ne pas tomber dans la délinquance. J’ai accepté puis étouffé mon hypersensibilité.

En dépit de ce parcours chaotique, j’ai finalement eu de la chance. Aujourd’hui, je suis guitariste et compositeur professionnel, je bosse à distance pour de grandes maisons d’édition. Certaines mélodies de pub que vous fredonnez sont peut-être mes créations. J’aspire à des projets plus inspirants. Toutefois, je me contente de cette existence simple, sans pression.

La musique flotte en moi depuis toujours, aussi importante que le sang dans mes veines. Elle est mon âme, mon oxygène ; indispensable, vitale. Je dors musique, mange musique, baise musique. Et cela lasse également très vite mes conquêtes.

Des bras chauds s’enroulent autour de mon cou, un souffle tiède ébouriffe mes mèches en désordre.

— Alors, comment va mon beau brun aux yeux d’émeraude, ce matin ? murmure Mia, ma compagne du moment.

Je souris sans répondre, trop absorbé par l’opération délicate sur ma guitare. Sa bouche sème une myriade de baisers en même temps que ses mains glissent sous la ceinture de mon jean. Directe et précise.

— Tous ces abdos en manque de tendresse me rendent folle, Gab…

— Si tu le dis, marmonné-je en rajustant une des cordes.

— T’es brûlant, susurre-t-elle avant d’attraper ma queue sans plus de détours. J’ai très envie de prendre soin de toi.

Ses longs cheveux blonds frôlent mes épaules, son parfum vanillé envahit mon nez. Mon érection s’éveille. J’aime le cul, une véritable passion. Toutefois, quand je suis après mes instruments, il ne faut pas m’emmerder. Elle est au courant. Je l’explique à toutes les nanas qui entrent dans ma vie.

Toujours concentré sur mon opération délicate, je ne la repousse pas, mais ne l’encourage pas non plus. Elle tombe alors à genoux et disparaît sous la table. Je ne peux retenir un sourire satisfait.

Parfaite Mia, tu sais très bien comment me combler.

— Ne bouge pas, bébé, je m’occupe de toi, ajoute-t-elle en me prenant en bouche.

Ses lèvres font leur job et, après un petit moment de ce traitement délicieux en mode gorge profonde, je bascule la tête, paupières fermées, le temps de jouir. Elle avale sans rechigner. Encore une fois, je constate qu’elle est vraiment une fille en or. Chaude comme la braise, patiente avec moi, tolérante. En plus, elle cuisine.

Que demander de plus ?

Des sentiments peut-être ?

Mais ça, je doute d’en posséder la capacité. Hypersensibilité n’est pas synonyme de sentiments. Au contraire, ça provoque surtout un rejet de tout chez moi. Une fois, dans mon passé… peut-être que j’ai ressenti un truc pour une personne. Une personne inaccessible et qui me haïssait, à juste titre. Peu importe, je l’ai oubliée aujourd’hui et nous vivons aux opposés de cette planète.

Je refoule ces souvenirs trop douloureux puis remballe mon service trois-pièces. Mia m’offre un sourire auquel je réponds avant de l’abandonner après un rapide baiser sur la joue.

— J’ai du taf, lâché-je sans m’étaler davantage. Je m’occuperai de toi plus tard, promis.

Elle ne cherche pas à me retenir et se contente de m’observer en silence de ses jolis yeux bruns en amande, la bouche encore luisante de salive. Cette fille, je la fréquente depuis bientôt six mois, autant dire une éternité, et j’ignore comment elle fait pour rester si calme et prévenante. Mais comme toutes les autres, elle finira par partir pour ne plus jamais revenir. Tant mieux pour elle, je lui souhaite tout le bonheur du monde, mais elle ne le trouvera pas auprès de moi.

Je descends dans une pièce aménagée en studio insonorisé pour m’y enfermer. Ici, c’est mon territoire, mon jardin secret, un lieu où personne ne rentre, pas même ma nana. J’y entrepose mes plus précieuses possessions ; instruments, ordinateurs, enceintes et partitions. Je peux y disparaître durant des heures, voire une nuit entière. Quand la flamme de l’inspiration s’empare de moi, rien ne peut l’éteindre tant que je n’ai pas couché sur le papier chaque note qui envahit mon esprit. Encore un énième travers qui finit par insupporter les femmes que je fréquente.

Je checke mes mails. Mon éditeur parisien me soumet un nouveau contrat pour composer la bande-son d’une pub de parfum prestigieux. OK, ça me va. Je refuse en revanche la proposition d’une chanteuse amateur qui me demande de créer la musique pour accompagner ses paroles de chanson.

Hors de question d’accepter ce genre de job qui, à coup sûr, n’aboutira pas. D’ailleurs, la plupart du temps, ces femmes n’aspirent qu’à des rencontres et la rémunération n’arrive jamais. La photo de ma gueule sur mon site Internet y est pour beaucoup. C’est même grâce à ça que je déniche mes conquêtes. Mais pour le moment, celle qui squatte chez moi me convient.

Je ferme la fenêtre de mes messages et bloque un instant sur le cliché de mon fond d’écran avant d’ouvrir mon programme de mixage. Ma famille : ma mère en compagnie de Josie et ses deux filles, Mélanie et Aline. J’ignore pourquoi je m’impose cette vision au quotidien telle une sorte d’éternelle punition. Quand je croise leur regard figé sur ce cliché, mon bouclier frémit, se fissure et menace de tomber, provoquant l’habituel tsunami de mes émotions. Je réussis toujours à le réprimer, mais le goût amer des regrets persiste dans ma gorge. J’ai laissé derrière moi ces personnes que j’ai aimées.

Mal, mais fort.

Aline…

Comme à chaque fois que je les vois, je murmure des paroles silencieuses, mélange d’excuses et de promesses que je ne tiendrai probablement pas. Promesse de retour, de retrouvailles, d’explications.

Un jour, peut-être.

4

Aline

 

Londres, Angleterre


 

Côte à côte, Hannah et moi nous tenons face à l’antre des Enfers. Entendez par là l’antique bâtiment d’architecture victorienne où j’habitais encore la semaine dernière. Après six jours à déprimer en mode Bridget Jones, je suis parvenue à puiser la dose de courage nécessaire afin de revenir sur les lieux du crime. Bien sûr, nous avons choisi une heure où je suis sûre de ne pas croiser Adrian. Cet enfoiré n’a pas cessé de me harceler au point que j’ai fini par le bloquer. En désespoir de cause, il a tenté le bouquet de roses rouges, devinant que je m’étais réfugiée chez Hannah. Je les ai refusées avec un message à double sens pour l’envoyeur.

Le jaune canard cocu aurait tellement mieux convenu… Oublie-moi.

La montée des marches, suivie par l’ouverture de la porte d’entrée, se passe comme dans un ralenti. Je revis chaque seconde de mon calvaire, de ma découverte sulfureuse à l’arrivée impromptue des flics.

Cet appart en rez-de-chaussée, je l’aimais.

À peine ai-je mis un pied à l’intérieur que Twister bondit à ma rencontre dans des jappements joyeux, inconscient de la dure réalité. Je m’agenouille pour mieux l’enlacer, acceptant exceptionnellement qu’il me débarbouille de sa langue baveuse. Hannah l’évite avec soin en nous contournant, un index brandi dans sa direction.

— N’approche pas, boule de poils !

— T’es pas cool ! protesté-je, faussement outrée. Il t’adore !

— Un peu trop ! Je préfère que notre histoire d’amour reste dans le domaine de l’impossible. De toute façon, je suis mariée et fidèle !

En rigolant, je retiens mon frétillant ami qui s’apprête à aller saluer Hannah avec sa maladresse habituelle. Je m’en veux de ne pas être venue le récupérer avant, mais je n’en étais pas capable. Même si Adrian est un enfoiré, je savais qu’il prendrait soin de lui. Le cœur serré, je pivote sur moi-même, le regard perdu sur ce salon que j’ai décoré avec amour.

C’est que du matériel, Aline, zappe tout ça.

J’inspire profondément puis me dirige d’un pas énergique dans la chambre, attrape mes valises et y jette pêle-mêle mes fringues. Je remplis une deuxième de mes produits de beauté, puis une troisième avec ma dizaine de paires de chaussures.

J’évite de m’attarder sur le lit. Zone rouge !

Bien que la colère prédomine, la souffrance pulse au fond de mon ventre. Je suis vexée, perdue, dévastée. J’ignore comment je vais bien pouvoir rebondir après cette énième déception. Mon cœur déjà peu fonctionnel risque de tomber définitivement en panne. Hannah surgit soudain, armée d’une paire de ciseaux et d’un sourire machiavélique.

— M’autorises-tu une petite vengeance ?

Je n’ai pas le temps de répondre qu’elle ouvre le placard coulissant et découpe les manches de chacune des chemises de mon enfoiré d’ex. J’écarquille les yeux, stupéfaite de voir mon amie si raisonnable agir comme une hystérique.

— On ne va pas avoir des soucis ? bredouillé-je.

— Pas de preuves, et t’inquiète, il va se faire tout petit après l’épisode de la police à poil.

Elle s’immobilise avant de m’offrir une moue malicieuse :

— Tu veux que je fasse caca sur le lit ?

Sa phrase est si inattendue que je reste quelques secondes muette avant de partir dans un rire de gorge libérateur. Hannah se joint à moi, ma douleur s’allège un peu. Twister, pensant à une partie de jeux, sautille autour de nous, derrière en l’air, langue pendante. Dans un élan, je bondis sur la couette blanche, puis tape dans mes mains :

— Viens, patachou ! Pour une fois, t’as le droit de monter !

Sans demander son reste, il me rejoint et je le réceptionne entre mes bras. Nous tombons sur le matelas et, pris dans l’excitation, il attrape un des oreillers entre ses crocs. Je tire dans l’autre sens, le tissu se déchire, libérant un nuage de plumes d’oie. Hannah se tord de rire, les joues rougies, les yeux larmoyants.

Je parachève mon œuvre en versant un reste de Nutella passé préalablement au micro-ondes. À défaut d’excrément — un peu de tenue quand même —, ça fera l’affaire !

Alors que nous filons, chargées du chien et de mes valises, je réalise que les semaines à venir seront difficiles, mais aussi qu’un nouveau nouveau départ s’impose. Londres n’était pas l’Éden que je m’étais imaginé depuis la France. Cette ville demeurera le reflet de mes espoirs brisés et de mon humiliation suprême. Même si je l’aime, elle me signifie que je ne suis plus à ma place.

Nous regagnons le luxueux appartement d’Hannah qui a décidé de m’héberger avec ou sans mon consentement. Il faut dire que cent cinquante mètres carrés de surface suffisent aux époux Lewis. En l’absence de son mari parti à Dubaï, Hannah a le champ libre pour me dépanner temporairement. Elle accepte la présence du bouvier. Toutefois, ce détail ne la réjouit pas, je la comprends. Twister perd autant de bave que de poils et prend de la place. Mais elle l’adore et refuse tout autant que moi de le laisser entre les mains d’Adrian.

Après une douche rapide, j’enfile ma vieille nuisette en coton avec la ferme intention de passer en mode glandouille-canapé devant une bonne série. J’ai à peine posé mon derrière sur le sofa qu’Hannah surgit, tout apprêtée.

— Hors de question ! Aline, tu vas te changer, on sort.

— On sort ? T’es folle, j’suis épuisée, j’ai pas envie de voir des gens.

Elle se place entre moi et l’écran plat, bras croisés, mine butée :

— OK. Dans ce cas, tu iras seule rencontrer le juge pour te défendre la semaine prochaine. Tire un trait sur la meilleure avocate de Londres.

J’ouvre une bouche offusquée puis ravale un juron. Ce n’est pas en proférant des menaces ou en jouant la capricieuse mollasse que je vais obtenir gain de cause. Et si Hannah m’abandonne… je préfère ne pas y penser. J’ai besoin d’elle, de son talent d’oratrice et, surtout, de sa zen attitude.

— Parfait, miss Humilité ! concédé-je, agacée. Mais à minuit, on rentre.

— Génial, me voilà en coloc avec une Cendrillon ramollie !

— Hé ! Ne sois pas vindicative !

— Juste réaliste ! objecte-t-elle en attrapant mes mains pour me lever du canapé. Si je te laisse t’enfoncer dans la déprime, ça va devenir si lamentable que je ne pourrai plus espérer te refourguer à un homme digne de ce nom.

— N’espère pas… Tu m’emmènes où ?

— Te remonter le moral en matant du beau gosse. Je ne t’en dirai pas plus ! Allez, file enfiler une tenue potable et des chaussures confortables, on y va en métro ! T’as…

Elle jette un œil à son smartphone dernier cri et conclut :

— Deux minutes !

— Quoi ? Tu veux que je m’habille, me coiffe et me maquille en si peu de temps ? Tu ne m’as pas arrangé un rencard ou une connerie du genre ?

— Plus qu’une minute cinquante secondes !

— Monstre ! m’écrié-je avant de galoper dans la chambre d’amis qu’elle me laisse à disposition.

Twister, excité de me voir courir, jappe joyeusement sur mes talons. Tandis qu’elle décompte à haute voix, je me hâte de revêtir la première tenue que je déniche. Une robe noire à bretelles fines, froissée à cause de son passage forcé dans ma valise, une paire de baskets dorées et un petit gilet. Je m’observe d’un œil critique dans le miroir de pied. Jambes acceptables et épilées, taille marquée, fesses dissimulées par l’évasé du tissu.

— Potable ? demandé-je au chien qui incline sa tête de nounours, oreilles dressées. On va dire que oui, radin des compliments !

— Bip bip bip ! braille Hannah depuis l’entrée.

Je lève les yeux au ciel après une rapide caresse à mon pote poilu. J’ai autant envie de sortir que de me jeter dans la Tamise ! Je n’ai pas le temps de m’apitoyer sur mon sort, elle m’embarque sans plus d’explication, et moins de dix minutes plus tard, nous pénétrons dans une rame de métro bondée.

— Ne fais pas cette tête ! râle Hannah après que j’ai poussé un soupir agacé.

— Tu sais… moi et les odeurs corporelles étrangères ne faisons pas bon ménage ! Et tu sais également que je déteste jouer les sardines un samedi soir !

— Je sais surtout que je ne reconnais pas ma meilleure amie !

Je hausse les épaules avec une moue boudeuse. Moi non plus, je ne me reconnais pas, mais de là à l’avouer, hors de question. Il me reste un minimum de fierté.

Enfin… je crois. Je l’ignore en vérité.


 

Fin de l’extrait