PROLOGUE

J’observe ces lèvres que j’ai désirées, ces mains puissantes qui m’ont donné tant de plaisirs, ces iris émeraude dans lesquels je me suis noyée des centaines de fois… Je revois tous ces instants de pur bonheur passés auprès de lui, mais aussi ces moments de tristesses, ces doutes, et ces craintes.

D’innombrables d’émotions se mêlent en moi…

Cet homme merveilleux m’a fait découvrir tellement de choses, et notamment la plus importante : la vraie Clémence Rousset. Celle qui vit, qui rêve, et qui n’a plus peur d’avancer !

Juste avant que la détonation ne retentisse, il pose sa bouche sur la mienne dans un ultime baiser gravé à jamais.

Et finalement, ma terreur s’envole.

Je réalise que je suis la femme la plus heureuse au monde. Non pas parce que j’ai trouvé le véritable amour, mais parce que je vais mourir à ses côtés, et pouvoir être à lui pour l’éternité…

À jamais, jeunes et amoureux.

CHAPITRE 1

Clémence

Six mois auparavant, aéroport d’Orly, Paris.

– Tu vas me manquer, ma puce.

Son souffle tiède glisse le long de mon cou tandis qu’il me murmure des mots doux à l’oreille. Je m’écarte de lui et plonge mes yeux dans les siens. Je connais par cœur chaque courbe de son visage, chaque nuance de ses iris grise, chaque boucle rebelle de sa chevelure blonde, et même chacune des petites rides qui se dessinent sur sa peau pâle ; Benjamin, mon meilleur ami, mon seul amour… mon futur époux.

Je me fige en réalisant à quel point mon existence défile vite.

Nous nous sommes rencontrés alors que nous n’étions que des gosses. Notre complicité fut une évidence dès nos premiers échanges. Dès lors, nous avons commencé à passer tout notre temps libre ensemble, occupant nos heures à jouer et à rire. C’était un garçon plein de vie, et mes meilleurs souvenirs d’enfance sont ceux que j’ai partagés à ses côtés. Puis nous sommes devenus adolescents, cet âge ingrat où les tourments s’emparent des jeunes cerveaux immatures. Mais pour nous, ce fut une période de légèreté et de joie. C’est tout naturellement que notre amitié innocente se transforma en une histoire plus charnelle. Nous découvrîmes ensemble nos premiers émois amoureux.

Il est le seul et unique amant que je n’ai jamais connu.

Notre complicité construite tout au long de ces années est solide, et je sais que Benjamin est l’homme de ma vie, mais… ces fichus doutes m’assaillent de plus en plus ces derniers mois. J’essaye de les ignorer, mais ce n’est pas un franc succès.

T’es pas heureuse avec lui ! Tu rêves d’autres choses !

Je repousse ces pensées parasites en fermant mes paupières aussi fort que je le peux.

Tu t’appelles Clémence, tu vas épouser Benjamin l’année prochaine, et surtout… tu en es méga heureuse !

– Je sais que tu as très peur de monter dans cet avion, mais tout se passera bien ma puce, murmure Benjamin en caressant ma joue du bout du doigt, inconscient de la tempête qui fait rage dans mon cerveau.

S’il entendait ce qui me traverse l’esprit…

Le pauvre ne se doute de rien et ça doit continuer ainsi. Cette année sabbatique aux US est pile ce dont j’ai besoin. Je suis heureuse de cette résolution, et surtout, d’avoir réussi à le convaincre de me laisser ce temps avant notre mariage.

Depuis la fin de nos études de droit, nous avons pour projet de monter notre propre cabinet d’avocats. Nous avons les compétences et l’argent pour cela ; du moins… nos familles l’ont et nous encouragent dans ce sens. Mais je dois d’abord accomplir deux ou trois trucs avant tout ça. J’ai toujours voulu connaître le rêve américain, mon American Dream comme je l’appelle, et tenter ma chance comme actrice ou chanteuse. Bien sûr, c’est juste un caprice de gamine aux yeux de tous, mais je compte faire le nécessaire afin que cette année hors du temps soit inoubliable et couronnée de succès. J’espère rencontrer des passionnés comme moi, apprendre et découvrir, et si, par miracle je peux être choisie pour un petit rôle, alors je serai heureuse de vivre une telle expérience[m1] , et de prolonger mon séjour quitte à repousser nos projets avec Ben. Et dans le fond, j’espère que cet éloignement ravivera la flamme de mon couple. Je sais très bien qu’après le mariage et l’ouverture de notre cabinet, je n’aurai plus une seconde à moi et que ma vie sera toute tracée.

Ben considère mon départ comme de la folie, mais il a cédé face à mes arguments imparables et à ma détermination.

T’es pas avocate pour rien tout de même !

C’est un homme en or et je compte devenir sa femme dès mon retour en France !

Il pose son index sous mon menton et me relève la tête. Un sourire adorable se dessine sur ses lèvres alors qu’il se penche pour m’embrasser. Je lui rends son baiser rapidement puis recule d’un pas nerveux. Je déteste les effusions en public ! Je suis quelqu’un de très pudique et bien qu’il ne comprenne pas toujours, il l’accepte.

– Tu es vraiment silencieuse… Clem, dois-je m’inquiéter ? s’enquiert-il les sourcils froncés.

Je m’efforce de sourire, puis réponds avec autant de conviction que je le peux :

– Non ! Tout ira à merveille mon amour, c’est juste moi qui dramatise comme d’habitude.

– Je te connais par cœur… Je crois qu’il n’y a pas que ce vol qui te trouble.

– Mais pourquoi tu dis ça ?

Il me lance un regard coupable puis avoue :

– J’ai peur de te perdre. Je te fais confiance, ne te méprends pas, mais je n’arrive pas à faire taire cette voix qui me chuchote que tu ne reviendras jamais.

Je pose mon front contre le sien en murmurant avec douceur :

– Non ! Tu ne me perdras pas ! Je rentrerai dans quelques mois, et nous aurons le plus beau mariage du monde… Et si ça se prolonge, ou si je te manque trop, tu viendras me voir. Ce n’est pas si loin, après tout !

 –OK ! Je prépare mes valises pour la semaine prochaine !

–Chiche !

–Je plaisante, mais un petit séjour sur le vieux continent est une bonne idée. N’oublie jamais que je t’aime[m2] .

Après une ultime étreinte de l’homme qui représente pour moi sécurité, confort, et habitudes, me voilà en train de marcher droit vers l’inconnu. Ma gorge se serre, les larmes me viennent aux yeux…

Non ! Hors de question que tu chiales comme une gosse ! Tu l’as voulu, alors assume !

Ce voyage est une première pour moi, tout comme monter dans un avion. Ben et moi sommes plutôt du genre pantouflard…

L’idée de tonnes de ferraille maintenues dans les airs par je ne sais quel miracle technologique ne m’inspire guère confiance. Et pourtant, je me rapproche inéluctablement de ce monstre de métal en suivant la foule des passagers d’un pas timide.

Les gens autour de moi semblent habitués, et ne se soucient pas d’une petite brune banale à la mine égarée. Tout le monde est invisible pour tout le monde ici.

Après un énième contrôle de papiers, me voilà en train de gravir les marches qui mènent au dernier couloir avant l’embarquement. L’idée me paraît subitement suicidaire… S’entasser dans cet engin en priant pour qu’il ne s’écrase pas est un très mauvais calcul !

Mon sang se glace dans mes veines, mon pouls accélère, quelques gouttes de transpiration glissent le long de ma tempe. Je me raidis, puis commence vaillamment à… tourner les talons.

Courage ! Fuyons ! Après tout…, ce n’est pas si cool les US !

Dans ma panique, je percute un homme qui me toise furieusement du haut de ses verres de lunettes. Le choc m’arrache un cri, et je lâche ma petite valise de cabine. Tout en marmonnant des excuses confuses, je constate que mes affaires personnelles sont étalées aux yeux de tous  ; fringues, MP4, lingettes, brosse à cheveux, confiseries, livre, et tampons roulent au sol pèle-mêle. Le rouge me monte aux joues ; la honte !

À cet instant précis, je donnerais cher pour redevenir invisible.

Clémence Rousset, tu es officiellement élue femme la plus maladroite du monde !

L’homme reprend sa route d’un pas rapide sans plus se préoccuper de moi. L’envie de lui arracher ses lunettes et de les piétiner m’assaille, mais je renonce rapidement à l’idée. Je ne suis pas du genre à foncer dans le tas, et préfère me fondre dans la masse. Après avoir piteusement remis mes affaires dans mon bagage, puis galéré cinq bonnes minutes pour le refermer, je me retrouve de nouveau à marcher vers ce que j’imagine être mon futur cercueil. J’ai tout de même réussi à calmer ma panique, et la partie de moi logique et rationnelle a repris le dessus. Je me répète en boucle ce que tout le monde m’a dit quand j’ai parlé de ma peur : l’avion est le moyen de transport le plus sûr au monde.

Ouai… sauf que quand il y a crash, c’est quasiment cent pour cent de chance de mourir dans des conditions atroces.

Mon téléphone vibre. C’est un SMS de Benjamin rempli de petits mots d’amour rassurants. Ca me réconforte quelque peu, et je lui renvoie un selfie avec une grimace. Lui et moi nous nous connaissons si bien. Notre complicité est sans faille, et notre histoire est digne des plus beaux contes de princesses. On peut même dire qu’il m’a sauvé de ma tour ; comme celle de Raiponce. Sauf que je n’ai pas les cheveux longs et magiques, mais au carré et sans utilité. Il m’a tiré des griffes de ma mère ; cette mère qui me dicte chaque action de ma vie depuis que je suis sortie de son ventre. Je ne la déteste pas, mais moins je la vois, et mieux je me porte. Elle a toujours été trop dominatrice, trop présente, et moi, je lui ai toujours été soumise, et le suis encore malgré mes tentatives de rébellions…

Par moment, j’ai la sensation que mon existence est toute tracée et suis une route à sens unique, sans possibilités de détours. Et tout au fond de mon âme, là où est bien planqué mon jardin secret, je sais que ça me rend malheureuse et me fait peur.

Arrête de te plaindre… T’as l’amour, une situation, et un avenir !

Quand je suis avec Ben, j’oublie toutes ces idées un peu sombres, et me contente de notre vie bien réglée. Du haut de nos vingt-cinq ans, nous avons plein de projets, et tout est déjà plus ou moins planifié ; notre cabinet, l’achat d’une maison à la campagne et d’ici quelques années, un petit Ben junior… ou une Clémouillette. Le genre de vie qui ferait envie à plus d’une !

– Les passagers du vol 90911 à destination de Los Angeles doivent se présenter à la porte numéro 3 !

Je sursaute en entendant l’annonce, et me lève nerveusement quand je comprends que ça me concerne.

Allé, Clémence Rousset, fais face à ton destin… courageusement ! Ou pas…

CHAPITRE 2

Clémence

Magnifique, sublime, légendaire…

À ma demande, le taxi me dépose à la fameuse rue de Los Angeles : Hollywood Boulevard. Attitude totalement immature quand je pense aux démarches que j’ai à faire avant la nuit ! Je dois notamment repérer l’adresse du logement que j’ai déniché sur le net avant de venir ; une location entre particuliers, beaucoup plus simple au vu de la difficulté à trouver un appartement dans cette ville ! La dame a accepté de me dépanner le temps que je décroche un petit job et fasse les papiers nécessaires pour régulariser ma situation. J’ai rendez-vous dans une heure, et ne dois pas trop traîner, mais il me reste quelques minutes pour prendre des photos souvenirs !

Après un vol tranquille et un atterrissage parfait, je suis descendue de l’avion, entière et en bonne santé. Mes bagages de soute sont bien arrivés eux aussi, et ont été pris en charge pour être envoyé directement à mon logement.

Merci, mon Ange Gardien…

Totalement heureuse, j’admire d’un œil brillant les étoiles gravées à l’effigie des stars internationales que j’adule sans prendre garde à la foule autour de moi.

Dans mon euphorie, je bouscule plusieurs personnes avec ma petite valise, provoquant des regards noirs et quelques jolis noms d’oiseaux à mon encontre.

Mes premières insultes anglaises ! C’est le début du rêve américain !

Je pouffe alors qu’un vertige m’envahit face à la splendeur de l’avenue bordée de palmiers et d’enseignes de renom, mélange hétéroclite d’architecture moderne et de bâtiments plus rustiques. Je tourne sur moi-même, emportée par un tourbillon d’émotions contradictoires ; peur de l’inconnu, bonheur, excitation… Je prends quelques clichés avec mon mobile dernier cri à la coque rose, tout en cherchant du regard le fameux panneau HOLLYWOOD.

Soudain, je trébuche sur le rebord du trottoir et perds l’équilibre dans un battement de bras inutiles. Mon cri de surprise est couvert par un bruit strident de klaxon, suivit de près par le crissement de pneus glissant sur le bitume. J’ai juste le temps de voir un rayon de soleil se refléter sur la carrosserie noire d’une voiture avant de m’affaler lourdement au sol. La calandre s’arrête à temps pour ne pas me blesser gravement, et me bouscule légèrement. Hormis quelques bleus à l’épaule, je devrais m’en sortir ! Par contre, je constate à mon grand désespoir que mon téléphone n’a pas eu cette chance. L’écran est fissuré… Je ne suis pas sûre qu’il survive.

C’est une arrivée digne d’une comédie romantique !

Je soupire de soulagement, puis relève la tête. Je suis passée près du drame !

La première chose que je discerne est un cheval cabré, sigle de la marque Ferrari, la seconde, est une paire d’iris vert émeraude qui me toisent. Mon cœur s’affole, ma respiration accélère ; probablement le choc de l’accident. Quoique… la vision de l’homme en face de moi y est sûrement pour quelque chose aussi. On le croirait évadé d’une de ces publicités pour parfum de luxe.

Il est parfait !

En dépit du ridicule de ma position, et de ma coiffure probablement aussi effrayante qu’un film d’horreur, je ne contrôle plus mes yeux qui se transforment alors en scanner. Très classe, il est vêtu d’un pantalon noir fluide qui met en valeur le galbe de ses jambes musclées. Ses poings sont posés sur ses hanches étroites ; j’y distingue une montre en or qui doit coûter à peu près mon budget prévu pour cette année. Sa chemise blanche est légèrement entr’ouverte sur un tatouage dont j’aperçois les contours, et laisse voir sa peau mate et lisse. Je remonte sur ses épaules carrées, puis me perds dans la contemplation de son cou où est attachée une chaîne en argent.

Il est grand… très grand ! Et j’ai un énorme faible pour les grands…

Je déglutis péniblement et progresse doucement vers son visage aux traits finement dessinés. Ses cheveux bruns mi-longs sont négligemment coiffés en arrière, retenus par sa paire de lunettes de soleil de luxe. Sa mâchoire virile arbore une barbe de deux jours, et ses lèvres sont délicatement ourlées… et très crispées. Je réalise soudain qu’il semble très en colère.

En colère ? Mais pourquoi ? La logique voudrait que ce soit moi la personne énervée !

De nombreux badauds se sont arrêtés sur les trottoirs, et observent la scène avec des mines amusées ou étonnées. Je suis l’attraction du jour ! Mon cœur rate un battement ; je déteste attirer l’attention, je dois me relever ! Dans ma manœuvre précipitée, je m’emmêle avec l’anse de mon sac à main, me tords une cheville, et retombe lourdement sur mon derrière avec un cri de douleur. Ma maladresse est bien plus dangereuse qu’une Ferrari à pleine vitesse ! Des fois, je ne me supporte plus.

Le rose me monte aux joues, et je lance au Dieu grec un petit sourire contrit, m’efforçant d’ignorer l’élancement dans ma jambe.

– Ah les étrangers… marmonne-t-il en anglais avant de vérifier l’état de sa calandre.

Je sursaute en entendant ses mots, puis pique un fard en ravalant mon sourire. Ce type me donne la curieuse impression d’être un enfoiré ! Il finit tout de même par délaisser son bolide pour me dévisager. Avec un grognement agacé, il me tend la main.

– Vous n’allez pas rester toute la journée assise là à me mater ? Êtes-vous blessée ?

Le mater ? Et puis quoi encore ! Quelle arrogance !

Je n’ai jamais eu si honte de ma vie, d’autant plus que je me rends compte de ma mauvaise foi… Effectivement, je me suis bien rincé l’œil, et j’ai même oublié l’espace d’un instant que je suis une femme presque mariée !

La culpabilité m’assaille et je décide de ne plus faire un pas de travers ; à partir de maintenant, je serai une vraie nonne, sauf que ce n’est pas à Dieu que je me dédierai, mais à mon fiancé.

Un toussotement me sort de mes remords.

– Je vous ai posé une question, vous êtes toujours avec moi ?

Incapable de répondre, j’attrape ses doigts qui se referment sur les miens et me relèvent d’un geste brusque. Étourdie, je perds de nouveau l’équilibre et me retrouve contre son torse. Mes tripes se mettent à danser la salsa sans que je ne puisse rien contrôler ; il a effectivement un corps parfait…

Clémence… Nonne, on a dit !

Ses muscles se crispent, puis il saisit mes avant-bras pour m’écarter fermement. Ses iris flamboyants s’accrochent quelques secondes aux miens. Je discerne un trouble furtif voiler son regard, bien vite remplacé par un éclat glacial, qui loin de me refroidir, m’offre une superbe bouffée de chaleur.

– Parlez-moi, êtes-vous blessez ? répète-t-il en m’inspectant de haut en bas.

– Non, enfin si, mais ce n’est pas vous, je crois que je me suis tordu la cheville, balbutié-je en anglais, d’une voix rendue rauque par le stress. Je suis désolée, ça ira. Je viens d’arriver et…

Il m’interrompt en fronçant les sourcils :

– Française ?

– Parce que venir de France est un problème ?

– Je n’ai pas dit ça, répond-il en adoptant alors ma langue maternelle avec un délicieux accent. J’y ai moi-même passé pas mal de temps, mais les touristes européens sont un peu trop rêveurs à mon goût ! Nous ne sommes pas tous en vacances ! Je vous conduis voir mon médecin personnel !

– Quoi ? Touriste ? Non je ne suis pas une touriste. Et je n’ai pas besoin de…

– Montez et ne discutez pas.

– C’est gentil à vous, mais…

– Je ne suis pas gentil, ne vous méprenez pas. Je dois juste me couvrir au cas où vous me colleriez un procès aux fesses par la suite.

Il me traîne dans sa voiture sans me donner le choix. Telle une poupée de chiffon, je ne réplique rien et me laisse mener à l’intérieur du véhicule en boitillant. Cette rencontre imprévue m’a vraiment retourné la tête, mes pensées s’embrouillent et font place à un vide seulement occupé par cet inconnu.

Et si c’était un pervers ou un dangereux psychopathe, ou pire… un membre du Ku Klux Klan ?

Je déglutis péniblement pendant qu’il boucle sa ceinture et relance le moteur. Il connaît bien la France… il l’a dit. C’est pour ça qu’il maîtrise parfaitement la langue de Molière. Bon… il ne peut pas entièrement être mauvais dans ce cas. Quoique… ce n’est pas non plus un gage de sainteté ! Nous avons aussi nos célèbres meurtriers dans l’hexagone.

Merde… Mais qu’est-ce que tu fous, Clémence ? Dégage ! Cours ! Sauve-toi !

Ma comédie romantique vient de se transformer en comédie dramatique.

CHAPITRE 3

Xander

Elle me jette un regard en coin qui me met définitivement de mauvaise humeur !

Pourquoi a-t-il fallu que je tombe sur la nana la plus maladroite du monde ? Surtout aujourd’hui… Ce n’est pas comme si j’avais des tonnes de rendez-vous importants. Le Xander normal n’aurait pas perdu son temps en blablas inutiles. Elle n’est pas gravement blessée, et un chèque est la solution la plus rapide pour régler ce genre de situation. D’autant plus que la plupart des gens sont rarement réticents à une compensation financière. Mais là, je me sens un peu coupable. Ce n’est pas dans mes habitudes, mais il faut bien avouer que j’ai abusé… encore. Juste avant l’incident, j’étais en train de répondre à un SMS de Dan, mon pote et bras droit, et c’est un miracle que j’ai réussi à freiner à temps.

Cette fois, il s’en est fallu d’un cheveu pour que ça vire au drame ! Je n’ose même pas imaginer le bordel si je lui étais passé dessus. Au sens propre du terme, ça aurait été des emmerdes à n’en plus finir. Au sens figuré… Je jette à mon tour un coup d’œil discret à ma voisine, assise une main posée sur ses genoux, et l’autre qui tapote nerveusement sur son mobile cassé. Elle est vêtue d’une robe saumon très simple, et d’escarpins blancs à petits talons ; petits mais suffisamment hauts pour qu’elle ne tienne pas debout ! Elle est plutôt jolie avec ses traits fins, ses grands yeux de biche affolée, et son carré plongeant qui laisse apparaître une nuque gracile. Elle est tellement mal à l’aise qu’elle est collée à la portière, et que ses doigts tremblent tandis qu’elle ramasse son sac à main pour le serrer contre elle.

Nan mec, c’est absolument pas ton style de fille, bien trop coincée !

– Est-ce que vous avez un nom ?

Au son de ma voix, elle frémit, et me lance un énième regard méfiant.

Bordel, j’ai quand même pas l’allure d’un tueur en série !

À nouveau agacé, je marmonne :

– Je ne compte pas vous découper en morceaux.

Elle hausse les sourcils et balbutie quelques mots incompréhensibles. Je lève les yeux au ciel et me reconcentre sur la route.

La circulation dans les rues de Los Angeles est dense pour un samedi, et nous mettons plus de trente minutes pour arriver à destination. Une plaque dorée à l’entrée d’une allée bordée de palmier annonce que nous sommes au cabinet médical Dellarte. C’est ici que je viens dès que j’ai un souci de santé, ils me connaissent et me reçoivent sans que j’aie besoin d’attendre. Dellarte est un des médecins les plus réputés de LA et sa clientèle se compose essentiellement de personnalités fortunées. C’est LE médecin des stars, et moi en tant qu’agent renommé, j’ai depuis longtemps mon ticket d’entrée.

Arrivé au parking privé, je coupe le moteur, puis jette un coup œil rapide à ma coiffure dans le rétro intérieur. Une fois descendu, j’enfile mes lunettes de soleil, puis grogne en constatant que ma demoiselle anonyme n’a pas bougé d’un pouce.

Avec un soupir, je me souviens qu’elle a mal à la cheville, et fais le tour pour lui ouvrir la portière.

– Si Madame veut bien se donner la peine.

Elle me jette un nouveau regard suspicieux, puis se décide à attraper ma main tendue. Je remarque que ses iris noisette sont piquetés d’éclats dorés.

Pas mon style, mais vraiment charmante !

Quand son pied gauche se pose à terre, une grimace furtive de douleur se dessine sur son visage. Elle se ressaisit vite, et détaille les environs avec une lueur admirative dans les yeux. J’avoue que le bâtiment hyper moderne, associé aux gigantesques palmiers du parc, envoie du lourd. Elle n’est pas ici depuis longtemps, ça se voit. À Los Angeles, tout est apparence, frime et luxe, plus personne n’y prête attention.

Lassé de l’attendre, je prends son bras pour la soutenir, et l’entraîne vers l’entrée du cabinet. Elle trébuche et manque de s’étaler par terre encore une fois. Sans aucune délicatesse, je la retiens en m’exclamant :

– Mais c’est pas vrai, vous êtes une catastrophe ambulante !

Son air dépité me fait un peu regretter mes mots ; juste un peu… Je la connais depuis moins d’une heure, et me permets d’agir comme un goujat avec elle. Mais je n’ai pas le temps, et ai des choses autrement plus importantes à faire aujourd’hui !

Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait pour qu’on m’inflige ça ?

Elle traîne et galère sur sa cheville souffrante. Sans lui laisser le choix, je passe un bras sur ses épaules, l’autre derrière ses genoux, puis la soulève sans qu’elle ait la possibilité de réagir. Elle est tellement minuscule que ça ne me demande aucun effort. Elle pousse un cri en se crispant tandis que je me dirige d’un pas décidé vers les portes.

– Lâchez-moi !

Sa mine outrée me fait sourire, et je réponds sans ralentir :

– Vous avez retrouvé votre voix. J’ai presque cru que vous étiez une sœur d’Ariel la petite sirène.

Elle arrête de se débattre et m’observe, les sourcils levés de surprise. Elle est vraiment mignonne avec ses yeux un peu trop grands et sa bouille ronde. Et puis… son parfum est délicieux.

Couchez les hormones, celle-là n’est pas pour vous !

À notre approche, les doubles portes vitrées coulissent dans un chuintement, et j’entre dans l’élégant hall d’accueil, toujours avec mon fardeau dans les bras. Elle a cessé de se débattre et observe bouche bée le luxueux décor aux nuances noires et blanches. Je me dirige vers le grand comptoir verni où sont installées quatre secrétaires habillées de tenues immaculées. L’une d’elles se lève en me voyant et me fait signe de venir.

– Monsieur Berkman, bonjour ! Je peux faire quelque chose pour vous ?

Je reconnais immédiatement la jolie Penny. Nous avons eu une petite soirée très sympa il y a quelques mois. Une soirée comme je les aime ; chaude et sans prise de tête ni discussions inutiles. Je lui lance un sourire charmeur, et réponds :

– J’ai besoin de voir le docteur Dellarte au plus vite. Cette jeune femme s’est jetée sous mes roues tout à l’heure. Il n’y a pas grand mal, mais je préfèrerais m’en assurer.

– Je ne me suis pas jetée sous vos roues, vous êtes gonflé ! s’exclame alors miss maladroite en recommençant à se débattre. Lâchez-moi !

Je l’ignore et ajoute à l’intention de la secrétaire :

– Si c’est possible de faire ça vite… Penny.

Avec un clin d’œil entendu, elle attrape son téléphone et compose un numéro. Je m’éloigne de quelques pas puis dépose la jeune femme blessée. La lueur inquiète dans ses yeux a disparu ; à présent, ce que j’y vois ressemble presque à de la colère.

– Vous me prenez pour une imbécile, lance-t-elle en serrant ses petits poings. Vous m’avez gâché ma première journée aux US !

Elle se détourne et clopine jusqu’à un banc un peu plus loin où elle s’assoit avec un soupir en croisant les bras. Je la rejoins et la dévisage avec un sourire en coin. Celui auquel les femmes ne résistent pas !

– Ne vous moquez plus de moi ! gronde-t-elle avec une moue boudeuse.

Loupé pour le sourire irrésistible… Elle n’y semble pas sensible !

– Ce n’est pas le cas.

– Si ! Vous me renversez, vous me forcez à monter dans votre bolide, vous me portez comme une gosse de cinq ans, vous me prenez de haut, et me conduisez je ne sais où pour voir je ne sais qui !

– Nous sommes au cabinet du Docteur Dellarte et il va examiner votre cheville. Rassurée ?

– Ça n’empêche que vous êtes très mal élevé et un peu trop sûr de vous. C’est pas parce vous ressemblez à Apollon que vous pouvez faire tout ce que vous désirez !

Elle s’interrompt en posant une main sur sa bouche. Ses joues rougissent, et elle reprend en balbutiant :

– Pardon, je ne voulais pas dire ça ! Je parle beaucoup trop vite parfois. En fait, je voulais dire que vous pourriez être un peu plus sympa. Enfin… non. Bref, laissez tomber. Désolée.

Amusé, je retire mes lunettes de soleil et lui tends la main en déclarant :

– OK. Que dites-vous de recommencer à zéro ?

Elle scrute mes doigts comme s’ils étaient empoisonnés puis me lance un regard hésitant. Je continue :

– Enchanté, je m’appelle Xander. Et vous, vous devez certainement avoir un prénom ?

Après quelques instants de réflexion, elle serre ma main puis répond :

– Clémence, mais tout le monde m’appelle Clem.

– Alors, pour moi vous serez Clémence, car je ne suis pas tout le monde.

CHAPITRE 4

Clémence

Xander… Môôsieur Je-ne-suis-pas-tout-le-monde !

En plus du physique d’acteur américain, il en a le prénom ! Je ne sais pas du tout comment je me suis retrouvée dans cet endroit bien trop luxueux, avec cet homme bien trop arrogant et… bien trop beau.

Xander ! Non, mais sérieux ! Xander…

Je me rends compte que je tiens toujours sa main dans la mienne et la retire précipitamment. Sa paume est douce et chaude ; il ne doit pas faire un métier manuel.

Bravo pour la déduction Sherlock ! T’as vu ses vêtements, sa bagnole, sa montre ? Il est friqué et ce n’est pas en étant maçon qu’on devient riche.

Je sais que mes joues sont cramoisies et ça me met encore plus mal à l’aise ! Depuis que j’ai croisé le chemin de ce mec, ou plutôt de sa Ferrari, je suis en totale panique ! J’ai même eu un énorme bug dans sa voiture en ne réussissant plus à prononcer un seul mot !

– Quelle heure est-il ? m’exclamé-je soudain.

Il jette un œil à sa luxueuse montre puis me répond :

– Quatorze heures trente.

Et voilà… J’ai loupé le rendez-vous avec la propriétaire de mon futur appartement. Elle m’avait bien précisé que je ne devais pas être en retard… Comment je vais faire maintenant ? D’autant plus que je n’ai même pas son numéro qui est dans mon téléphone brisé ! Trouver un logement pas trop cher à LA, c’est pire que de gravir le mont Everest en tongs, et je viens de gâcher ma chance !

Cette journée se transforme en un véritable cauchemar !

Me voilà éclopée, SDF, et en compagnie d’un presque inconnu qui de toute évidence me méprise. Au final, je ne peux pas lui reprocher, je lui ai donné matière pour ça. Je suis naturellement maladroite et rêveuse, mais là, j’ai éclaté mes propres records ! En plus, il doit me prendre pour une nana maladivement timide à tendance frigide !

En réalité, même si parfois je manque de confiance en moi, je ne suis pas une personne renfermée. J’ai le contact assez facile avec les autres, et quand je rentre dans mon rôle d’avocate, je deviens une lionne. Ce métier, je l’ai choisi par défaut ; tradition familiale. Ce n’est pas ma vocation, mais j’ai ça dans les gènes, et j’assure lorsqu’il s’agit de défendre la veuve et l’orphelin. Je ne comprends donc pas du tout ce qu’il m’arrive en ce moment même.

14 h 30… Merde, et merde et crotte zut !

Je suis à la limite de paniquer en réalisant que je n’ai aucune idée d’où je vais bien pouvoir dormir. Je dois trouver un taxi et un hôtel pas trop cher, et tout ça, sur un seul pied !

Et re-merde…

La voix grave de Xander me fait sursauter :

– Clémence ? Vous êtes vraiment très pâle d’un coup, ça va aller ?

Je me redresse pour retrouver un peu de contenance et déglutis péniblement.

– Tout va très bien.

– Vous faites une très mauvaise menteuse, vous savez. J’espère que vous n’êtes pas venue ici pour percer en tant qu’actrice !

Il sourit à sa vanne, mais moi, ça ne m’amuse pas du tout ! Il se trouve que SI, je viens ici pour ça, justement. Et il a blessé mon orgueil sans même s’en rendre compte. Je serre les dents et détourne mon visage pour ne pas qu’il comprenne qu’il a touché un point sensible. Hors de question de lui donner encore plus d’informations sur moi et qu’il s’en serve pour se moquer.

– Xander ! Comment vas-tu ?

Un homme très classe aux cheveux poivre et sel entre dans le hall. Comme les secrétaires, il porte une blouse blanche, et vient dans notre direction avec un grand sourire jovial. Je me sens un peu rassurée ; il inspire beaucoup plus confiance que le Dieu grec.

Après l’avoir salué, Xander me désigne et ils discutent quelques secondes sans que je puisse comprendre ce qu’ils se disent. L’homme approche ensuite de moi en me tendant la main :

– Bonjour Clémence, je suis le docteur Dellarte. Vous êtes d’accord pour que je vous examine ?

Enfin quelqu’un qui me demande mon avis ! Je lui souris gentiment puis explique :

– Je crois que ce n’est pas grand-chose, je me suis juste tordu la cheville.

– Nous allons regarder ça. Avez-vous une assurance ?

Aux USA, le système de prise en charge médical est très différent de la France, et se soigner peut vite devenir extrêmement coûteux. Fort heureusement, je suis organisée et j’avais tout prévu avant de partir. Mais je réalise que mes papiers sont dans mes valises qui ont été directement envoyées au logement !

– Mince, je n’ai rien sur moi !

Xander s’interpose et dit d’un ton ferme :

– Je prends tout en charge.

– Quoi ? Non, pas la peine, vraiment, je ne veux déranger personne…

Il m’attrape par le bras en ignorant mes protestations gênées :

– Allons-y, je suis assez pressé.

Le docteur nous regarde avec un air amusé, acquiesce, puis se dirige vers le corridor où se trouve son cabinet.

– Vous vous comportez comme ma mère ! grogné-je en claudiquant.

– Votre mère ? s’exclame-t-il un sourcil levé. Pourquoi pas votre père ? Je suis un homme au cas où vous n’auriez pas remarqué.

Ooooh si, je l’ai remarqué… et plus que je ne le souhaiterais !

Rien que sa paume sur ma peau nue me déclenche des frissons et je sais que ce n’est pas l’effet d’une quelconque frayeur. J’ai compris qu’il n’a aucunement l’intention de me découper en morceau ni de me violer, et qu’il veut réellement s’assurer que je vais bien. Tout ça pour se couvrir, et non pas par bonté d’âme ; il n’a pas la tête de quelqu’un de généreux et serviable !

Je rétorque alors avec mauvaise humeur :

– Non… ma mère ! Une vraie dictatrice maniaque du contrôle !

Son adorable sourire en coin réapparaît et il déclare :

– Ça me correspond assez.

– Et vous en êtes fier ?

– J’assume ce que je suis, je déteste l’hypocrisie.

Nous entrons dans une pièce lumineuse où sont disposés quelques pots contenant de grandes plantes vertes ; je n’arrive pas à voir si elles sont en plastique ou vraies. Le médecin nous désigne une table matelassée entourée de tous ses appareils et outils. Xander me pousse dans sa direction sans me laisser le choix, m’attrape par la taille et m’y dépose. Encore une fois, je n’ai pas eu le temps de réagir ! Je lui lance un regard assassin qu’il dédaigne. Il doit vraiment cesser de me prendre pour une enfant incapable de quoi que ce soit ! Et surtout, arrêter de me toucher… 

Je n’ai eu que Ben dans mon existence, et jamais je n’ai été attirée par un autre homme. Je suis complètement, totalement, et définitivement amoureuse de lui, et nous allons continuer ce que nous avons commencé de bâtir avec application depuis tous jeunes ; une belle vie, celle dont on rêve depuis de longues années, avec une grande maison et des cris d’enfants. Je crois en l’amour unique et au destin de deux âmes sœurs qui ne se quittent jamais.

Mouais… tu essayes de te convaincre là ma vieille ! Ne sois pas de mauvaise foi et avoue qu’il te fait un putain d’effet le Dieu grec !

Dellarte fait passer Xander dans une pièce annexe où se trouve son bureau, puis m’examine de longues minutes avec sérieux. Je constate que ma cheville est atrocement enflée et présente quelques nuances bleu violacé.

J’aime pas ça du tout…

Après m’avoir aidée à me relever, Dellarte m’accompagne et me propose de m’asseoir sur la chaise à côté de Xander qui patiente en tapant du pied. Il prend place en face de nous puis annonce :

– Clémence, ce n’est pas très grave. C’est une grosse entorse, il n’y a pas de fracture. Cependant, vous allez devoir restée tranquille pendant une semaine, et quand je dis tranquille, ça veut dire ne pas poser le pied par terre.

En entendant son diagnostic, je me décompose sur mon siège, et blêmis. Je n’ai ni amis, ni famille, ni chéri pour prendre soin de moi ici. Je me sens soudain terriblement seule et perdue. Là, tout de suite, j’ai juste envie de rentrer en France, et que Ben me prenne dans ses bras en me murmurant des paroles rassurantes.

Fin de l’extrait